Accès à l'information scientifique, fracture numérique et le SMSI
Francis Muguet
- Introduction
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire
perpétuel,
Messieurs les Académiciens,
Mesdames, Messieurs les distingués représentants
des missions diplomatiques, et organisations internationales
Mesdames, Messieurs,
Dans ce lieu illustre et historique, je
suis très heureux de pouvoir témoigner de la dynamique
du suivi et de la mise en oeuvre du Sommet Mondial sur la Société
de l'Information concernant les sciences. Je remercie sincèrement
les membres du Comité Académique des Relations
Internationales Scientifiques et Techniques, en particulier le
Délégué aux relations internationales, pour leur
aimable invitation.
Tant
à Genève en 2003 qu'à Tunis en 2005, le Sommet
Mondial sur la Société de l'Information (SMSI) a
constitué, en
termes de participants, le plus grand des sommets
jamais organisés par les Nations Unies. Il a mis en branle un
processus de mise en oeuvre à l'échelle planétaire,
lent certes, mais incontournable. Bien que souvent négligé
par la presse occidentale, le SMSI a eu une immense résonance
dans les pays en transition et en voie de développement.
Nous
allons d'abord décrire brièvement le processus du
Sommet Mondial sur la Société de l'Information (le
SMSI) en insistant, ce qui pourrait paraître paradoxal, tout à
la fois sur son aspect diplomatique et intergouvernemental, et sur
son aspect multi-acteur ( multi-stakeholder en anglais, qui
est traduit d'une manière plus fidèle par
multi-partieprenantes ). En effet, c'est vraiment la première
fois où la société civile s'est constituée,
à l'invitation des états, en groupes de travail sur des
contenus thématiques. Ainsi a été formé
le groupe de travail sur l'information scientifique
(WSIS-SI) que j'ai fondé
et que je coordonne. En ce qui concerne, les aspects procéduraux
très importants dans le contexte des Nations Unies, un
Bureau
de la Société Civile
a été crée et
reconnu comme interlocuteur officiel du Bureau Intergouvernental. Ce
Bureau comprends la famille Education & Académie &
Recherche, que Madame le Professeur Divina Frau-Meigs, et moi même
représentons. Nous évoquerons ces question en décrivant
brièvement la
participation multi-parties prenantes au SMSI et les règles
écrites et non écrites. On peut mentionner au passage qu'un
Bureau Français de la Société Civile est en cours de constitution, qui
en tant qu'antenne du Bureau international, pourra interfacer, dans
un cadre juridique dérivant du droit international public,
avec le gouvernement Français, les diverses institutions, les organisations
internationales et les missions diplomatiques sises en France.
Ensuite,
nous aborderons la question de la nature juridique des
recommandations du SMSI. Si les recommandations de l'ONU n'ont pas de
valeurs contraignantes, sont-elles dénuées d'effets
juridiques ? Nous verrons, en autres, qu'elles ont une valeur
permissive.
Enfin,
nous examinerons brièvement les textes du SMSI relatifs à
la Science, dont les articles relatifs au libre accès à
l'information scientifique, constituent une contribution
provenant pratiquement exclusivement du groupe WSIS-SI, relayée par des
délégations gouvernementales dont nous restons
profondément débiteurs.
Nous
n'oublierons pas les suggestions plus détaillées recueillies
lors de la conférence de l'UNESCO à
Saint Petersbourg ( 17-19 Mai 2005 ).
Nous
aborderons ensuite les récentes réunions de l'UNESCO,
pour la mise en oeuvre des lignes d'action du SMSI, la première
concernant la ligne d'action C3 « Accès à la
Connaissance » organisée à Paris le 16
Octobre, et surtout la réunion organisée à Pékin
le 22 Octobre, concernant la ligne d'action C7 « Cybersciences ».
Nous
évoquerons la très récente première
réunion du Forum sur la Gouvernance de l'Internet tenue à
Athènes du 30 Octobre au 2 Novembre, notamment en relation
avec l'accès à la connaissance et la diversité linguistique.
Enfin,
après quelques remarques spécifiques, nous proposerons
à l'aimable attention de l'Académie des Sciences une
série de suggestions et propositions exploratoires.
- Rappel des Procédures Multipartenariales du SMSI :
La participation multi-parties prenantes au SMSI et les règles écrites et non écrites
, le Bureau de la Société Civile.
- Valeur Juridique des Recommendations du SMSI
- Textes du SMSI relatifs à la Science :
-
WSIS texts related to Science
La traduction officielle française ( à
l'inverse de celle en espagnol qui est beaucoup plus fidèle )
prend certaines libertés littéraires vis à vis
du texte négocié en Anglais, c'est pourquoi nous
faisons figurer ci-dessous les principaux articles du Plan d'Action,
en Anglais et en Français, avec, lorsque c'est approprié,
une traduction corrigée.
C3. Access to
information and knowledge - C3 L'accès à l'information et au savoir
Encourage
initiatives to facilitate access, including free and affordable
access to open access journals and books, and open archives for
scientific information
Traduction officielle :
Les initiatives
destinées à faciliter l'accès, notamment l'accès
gratuit ou à des conditions abordables, aux revues et ouvrages
en libre accès, ainsi qu'à des archives d'information
scientifiques ouvertes devraient être encouragées.
Traduction corrigée. (WSIS-SI) :
Doivent être
encouragées, les initiatives destinées à
faciliter l'accès, notamment l'accès gratuit ( NdT
au contenu ) et à des conditions abordables ( NdT
concernant les moyens physiques, cad réseau internet ),
aux revues et ouvrages en libre accès, ainsi qu'aux archives
ouvertes, pour l'information scientifique.
22. E-science
- 22 Cyberscience
a) Promote affordable
and reliable high-speed Internet connection for all universities and
research institutions to support their critical role in information
and knowledge production, education and training, and to support the
establishment of partnerships, cooperation and networking between
these institutions.
a) Promouvoir des
connexions à l'Internet à haut débit, fiables
et bon marché, pour l'ensemble des universités et
établissements de recherche, afin de les aider, dans le rôle
essentiel qui leur revient en matière de production
d'informations et de savoir, d'enseignement et de formation, et
afin de faciliter la création de partenariats, la coopération
et les échanges entre ces institutions.
b)
Promote electronic publishing, differential pricing and open access
initiatives to make scientific information affordable and accessible
in all countries on an equitable basis.
b) Promouvoir des
programmes de publication électronique, de différenciation
des prix et d'accès ouvert, afin de rendre les informations
scientifiques abordables et accessibles dans tous les pays, dans des
conditions équitables.
Traduction corrigée. (WSIS-SI) :
b) Promouvoir la publication électronique,
la différenciation des prix, et les initiatives
de libre accès, afin de rendre les informations
scientifiques abordables et accessibles dans tous les pays sur
une base équitable.
c)
Promote the use of peer-to-peer technology to share scientific
knowledge and pre-prints and reprints written by scientific authors
who have waived their right to payment.
c) Encourager l'utilisation de technologies d'échange entre homologues
pour le partage des connaissances scientifiques et celle des prééditions
et rééditions de communications rédigées
par des scientifiques ayant renoncé au paiement de leurs
droits d'auteur.
Traduction corrigée. (WSIS-SI) :
c) Promouvoir l'utilisation de technologies d'échange pair à pair pour
le partage des connaissances scientifiques, et des prééditions
et rééditions de communications rédigées
par des auteurs scientifiques ayant renoncé à leurs droits
à rémunération.
d) Promote the long-term systematic and efficient collection,
dissemination and preservation of essential scientific digital data,
for example, population and meteorological data in all countries.
d) Promouvoir
la collecte, la diffusion et la préservation systématiques
et efficaces des données numériques scientifiques
essentielles, par exemple en ce qui concerne la démographie
et la météorologie, dans tous les pays et ce, à
long terme.
Traduction corrigée. (WSIS-SI) :
d) Promouvoir
la collecte, la diffusion et la préservation, à
long terme, systématiques et efficaces
des données numériques scientifiques
essentielles, par exemple les données démographique et
météorologique, dans tous les pays.
e)
Promote principles and metadata standards to facilitate cooperation
and effective use of collected scientific information and data as
appropriate to conduct scientific research.
e)Appuyer
les principes et les normes relatifs aux métadonnées
afin de faciliter la coopération, ainsi que l'utilisation
efficace des informations et données scientifiques collectées
pour les besoins de la recherche scientifique.
Traduction corrigée. (WSIS-SI) :
e) Promouvoir les principes et les normes relatifs aux métadonnées
afin de faciliter la coopération, ainsi que l'utilisation
effective des informations et données scientifiques appropriées pour
mener la recherche scientifique.
-
Final Document / International Conference
"UNESCO between two Phases of the
World Summit on the Information Society"
( Saint Petersbourg, 17-19 Mai 2005 )
comprenant des recommandations
plus détaillées sur le Libre Accès.
Ces recommandations ont, pour l'instant,
surtout une valeur déclarative,
car elles n'ont pas été soumises ensuite
à la conférence générale (33C)
de l'UNESCO.
- Consultation
meeting on WSIS Action Line C3 "Access to information and
knowledge"
( 16 October 2006, UNESCO, Paris, France )
- Consultation meeting on WSIS Action Line C7 "E-science"
(22 October 2006, Beijing, China)
Les thèmes probablement retenus dans la ligne d'action
« cybersciences » sont :
- Academic network access ( voir aussi lignes d'actions C2 & C4 )
- Open Access ( voir aussi C3 )
- Preservation ( voir aussi C9 media )
- P2P and scientific knowledge sharing
- Metadata standards, search engines, object identifiers.
- Ainsi que les thèmes transversaux
- Research
- Ethics ( voir aussi C10 ethics )
- Digital Divide ( Digital solidarity agenda )
- Financial mechanisms ( Digital solidarity agenda )
- Multi stakeholder partnerships ( voir aussi C7 e-learning )
- Linguistic diversity ( voir aussi C8 )
Concernant ces thèmes, les groupes de travail
multipartenaires en train de se former sont des groupes constitués
par des gouvernements, puisqu'à la base, le processus du SMSI
est intergouvermental, mais il est aussi ouvert à la Société
Civile et en particulier la Communauté Scientifique. Par
conséquent, il semblerait judicieux que l'Académie des
Sciences et l'
InterAcademy Panel
y participent.
-
First Meeting of the Internet Governance Forum (IGF)
( Monday 30 October - Thursday 2 November, 2006, Athens, Greece )
Il est encore trop tôt pour tirer des enseignements de cet
événement, sur lequel il y a actuellement une grande
variété d'opinions. Néanmoins on peut signaler
la tenue de nombreux ateliers dont l'un a été consacré
à l'
accès à
la connaissance et la liberté
d'expression , et un autre consacré à
la diversité linguistique où fut exposé, entres
autres communications, la proposition des
« Linguistic SWgTLDs »
( Linguistic Semantic Web Generic Top Level Domains ),
ou noms de domaines génériques linguistiques selon la
toile sémantique.
Les
Identificateurs d'Objet Numériques
(DIGITAL OBJECT IDENTIFIERS - DOI) ainsi que les
Service de Nommage d'Objet
(Object_Naming_Service, qui fonctionne en conjonction avec les RFIDs ), constituent des problèmes
emergents très importants.
Pour diverses raisons, ces questions ont été pratiquement ignorées à
Athènes, mais on peut espérer qu'elles seront traitées à Rio, en 2007.
Des suggestions concernant ont été faites concernant
les sujets émergents qui, d'après les textes du SMSI,
peuvent faire l'objet de recommandations ( cf
FreeW3 ).
- Remarques et Suggestions spécifiques
-
Il a été avancé par certains, pendant la
discussion, que le problème de la fracture numérique se
situait d'abord au niveau du moyen d'accès à
l'internet, et qu'il ne fallait pas se focaliser uniquement sur
l'accès au contenu. En fait, la plupart des universités
dans les pays en développement possèdent des réseaux
internet locaux adéquats, mais des connexions extérieures
déficientes. Le libre accès, contrairement aux modèles
à accès restreints et payants, permet physiquement un
meilleur accès, car il permet l'établissement de sites
ou de copies miroirs. Il n'est pas exact d'affirmer qu'il n'est pas
possible faire des copies « statiques » (très
simples à faire ) de sites dits « dynamiques »
( le cas de beaucoup de revues et d'archives ), si on prends soins
que les URLs soient ré-écrites au niveau du serveur
Web. Dans certains cas, il est même préférable
d'envoyer un DVD par voie postale, plutôt que d'utiliser la
connexion internet internationale surchargée.
A cet égard, Il faut distinguer le libre accès complet
et des versions dégradés ( Open Choice, etc ) qui
autorisent certes un accès gratuit mais uniquement sur le site
du publieur. Par conséquent, le libre accès permet
indirectement un meilleur accès physique à
l'information scientifique.
En 1997,
les Editions Gauthier Villars sont acquises par Elsevier et
l'Académie des Sciences lui confie la publication de ses Comptes Rendus,
il serait convenable que l'Académie mette fin à ce contrat,
et déclare son indépendance,
suivant en celà le mouvement
Declaring Independence
de SPARC ( the Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition ),
afin d'adopter une politique en Libre Accès.
-
Il semblerait
judicieux que l'Académie engage un processus de réflexion
approfondi, concernant le rôle et l'impact de la diffusion du
savoir scientifique dans la société, au lieu de
procéder à une étude limitée à
l'analyse des conditions plus ou moins justes du marché de la
publication scientifique, sans se poser la question préalable
si l'existence même de ce type de
marché se justifiait. Le SMSI, de par sa nature mondiale, a
porté la réflexion dans un cadre plus large, et
notamment dans un cadre sociétal et macroéconomique.
Le Libre Accès
se justifie pleinement dans une approche humaniste, qui a permis,
après l'ésotérisme du moyen-age, une véritable
renaissance intellectuelle dont nous sommes les héritiers et
les bénéficiaires. Cette raison peut se suffire en soi,
mais il ne faut pas oublier que le Libre Accès se justifie
aussi au nom de l'efficacité économique. Les états
investissent dans la recherche dans le but de stimuler l'économie.
Ces investissements publics, selon l'effet bien connu du
multiplicateur de Keynes, devraient induire par effet de levier un
effet démultiplié dans l'économie. Un des
principaux produits de la recherche est l'information scientifique
qui devrait pouvoir être à la
disposition de tous les acteurs économiques, notamment les
startups et les entreprises innovantes. En levant une sorte de droit
péage féodal, non commensurable au service rendu, sur
la publication scientifique, certaines entreprises, c'est à
dire les publieurs commerciaux et cryptocommerciaux, diminuent
fortement l'effet de multiplicateur et donc ralentissent la
croissance et l'emploi, malgré la volonté publique.
N'oublions qu'il s'agit d'un secteur indirectement mais entièrement
subventionné, où des auteurs bénévoles
donnent gratuitement le contenu de leurs rapports de recherche, et
c'est la valeur du contenu, et non le formatage qui permet d'exiger
des prix si exorbitants. Il est clair que les partisans de
libéralisme, une fois pleinement informés de cette
situation à la fois unique et inique, ne pourront pas
permettre que celle-ci se maintienne plus longtemps. C'est ce qui
explique pourquoi, les principales puissances occidentales ont
finalement acceptées, au SMSI, de ne plus s'opposer aux
recommandations en faveur du Libre Accès. Tous les états,
que ce soient les pays développés, en transition, ou en
développement, attendent de faire des économies
substantielles, grâce au libre accès.
S'il ne s'agissait que d'un problème philosophique, leurs
intérêts seraient bien plus
limités. Il en découle que l'Académie doit aller
à la rencontre de la préoccupation des états. Il
paraît donc indispensable que l'Académie des Sciences
participe aux groupes de travail multi-acteurs du SMSI, à
l'UNESCO, où les délégations des états
sont présents.
Cette
participation et cette réflexion permettra sans doute à
l'Académie, de recommander au niveau national, sans crainte de
briser une certaine inertie, des propositions de politique publique,
à la fois plus contraignantes, plus dynamiques et
plus inclusives de toutes les stratégies qui sont proposées
( journaux, archives, P2P, etc...).
nfin, il
apparaît, mais cela semble aller de soi, dans un cadre
international, qu'une réflexion approfondie soit menée
au niveau des nouveaux usages et technologies ( P2P, Multimédia,
YouTube, DOI, etc.. ) qui amène à de profonds
changements dans la manière de travailler, voire même
de raisonner parmi les générations montantes. Il est
clair aussi, et c'est un des enseignements du SMSI, que cette
démarche doit tenir compte de la diversité linguistique
et culturelle.
- Conclusions
Messieurs les Académiciens,
Mesdames, Messieurs,
Considérant que l'Académie des Sciences constitue le
canal historique de formulation de propositions de politiques
publiques concernant la Science, tant auprès du législateur
que du pouvoir exécutif, il est crucial que l'Académie
s'implique dans la mise des oeuvres des recommandations du Sommet
Mondial sur la Société de l'Information, et ceci, tant
au niveau national qu'au niveau international.
Alors qu'une société de l'information est en train de
se construire sous nos yeux, ou plutôt sur nos écrans,
devrait-on dire !, il apparaît impératif que l'Académie
s'implique dans ces changements qui ne sont pas uniquement des
évolutions technologiques mais aussi des évolutions, et
peut être même des révolutions, dans la
gouvernance, dans le raisonnement et les usages.
Le texte ci-dessus en format
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