Peer-to-peer et propriété littéraire et artistique

Etude de faisabilité sur un système de compensation
pour l'échange des oeuvres sur internet








Par l'Institut de Recherche en Droit Privé de l'Université de Nantes









Carine Bernault, Maître de conférences,
Audrey Lebois, Maître de conférences.



Sous la direction du Professeur André Lucas.



Juin 2005










Sommaire





Introduction


Chapitre 1. ­ L'extension du mécanisme de la copie privée au téléchargement


I. - L'identification du copiste, rédigé par A. Lebois

II. - La licéité de la source, rédigé par A. Lebois

III. ­ L'usage privé de la copie, rédigé par C. Bernault

IV. ­ L'application du triple test, rédigé par A. Lebois

V. ­ La rémunération, rédigé par A. Lebois



Chapitre 2. ­ La gestion collective obligatoire du droit de représentation pour la
mise à disposition


I. - La justification du recours à la gestion collective obligatoire,
rédigé par C. Bernault

II. ­ La compatibilité d'une gestion collective obligatoire avec les engagements
internationaux de la France, rédigé par C. Bernault

III. ­ La mise en oeuvre de la gestion collective obligatoire, rédigé par C. Bernault











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Introduction








« Nous sommes tous des pirates ».

1. Cette phrase introduit l'appel lancé récemment par le Nouvel Observateur pour
protester contre la répression qui touche les adeptes du peer-to-peer1. Ce système
d'échange gratuit de fichiers d'ordinateur à ordinateur est devenu en quelques années
un véritable « phénomène » qui préoccupe les juristes et les représentants des ayants
droit, occupe les loisirs des internautes et retient l'attention des journalistes2. On ne
compte plus les articles consacrés à ce sujet dans la presse non spécialisée. On
évoquera simplement à titre d'exemple, la « une » du quotidien « Le monde » du 5
février 2005 ou celle de « Libération », le 28 septembre 2004. Et même quand le peer-
to-peer ne fait pas la une, il est souvent au coeur des débats3.

2. Le développement du haut débit a en effet transformé le réseau internet en un vaste
lieu d'échange d'oeuvres protégées, qui deviennent alors de simples fichiers, passant
d'un ordinateur à un autre avec la plus grande facilité. Si on a perçu dès le départ
l'intérêt que les internautes pouvaient trouver à exploiter un tel système, on a aussi
rapidement pris conscience des effets pervers qui y sont attachés. Les oeuvres
échangées étant dans la grande majorité des cas toujours protégées par le droit d'auteur

1 Le nouvel observateur, 3-9 février 2005.
2 Huit millions de personnes utilisent en France, au moins occasionnellement, les services peer-to-
peer. Muni d'un logiciel peer-to-peer dont les plus connus sont Kazaa, Bitorrent, eMule, Soulseek,
eDonkey et Morpheus, un internaute peut se connecter à un autre usager et échanger avec lui toutes
sortes de fichiers numériques (musiques, photos, vidéos, logiciels,...).
3 Voir par exemple : D. Conrod, A l'heure des journaux gratuits, du téléchargement musical et de la
TNT, quel est le vrai coût de la gratuité ? : Télérama n° 2884, 20 avril 2005, p. 26. ­ B.Edelman et
D.Cohen, La gratuité tue-t-elle les auteurs ? : Epok n°52, déc.2004-janv.2005, p.50.

3

et les droits voisins, l'internaute court le risque de devenir un contrefacteur, s'exposant
ainsi aux lourdes sanctions prévues par le Code de la propriété intellectuelle4. Il est
pourtant bien difficile de faire comprendre en quoi le fait de télécharger et de mettre à
disposition une création va causer un préjudice à ses auteurs, interprètes et
producteurs. On est entré dans une logique du « tout gratuit » qui, si elle peut
évidemment séduire tout amateur de culture, révèle pourtant très vite ses limites. En
effet, même si l'impact économique du peer-to-peer reste très discuté par les
économistes5, on doit admettre que cette logique de gratuité ne peut que dissuader les
investisseurs de placer leur argent dans la production d'oeuvres dont la « rentabilité »
ne pourra être assurée. La gratuité a donc bel et bien un coût, en premier lieu pour les
ayants droits et en second lieu pour le public lui-même, qui risque fort de voir la
production culturelle s'étioler6.

3. Dans ce contexte, qui conduit purement et simplement à une remise en cause de la
légitimité de la propriété littéraire et artistique, il convient de mener une analyse

4 Trois ans de prison et 300 000 d'amende (CPI, art. L 335-3 et L 335-4 ).
5 V.ainsi : Le peer-to-peer fait toujours couler l'encre : Comm.com.électr. 2004, alertes p.6. Il apparaît
que deux études universitaires menées aux Etats-Unis sur l'impact économique réel du peer-to-peer
aboutissent à des conclusions opposées. Alors que l'une (F.Oberholzer et K. Strumpf, The effect of
file sharing on records sales, An emperical analysis) juge cet impact limité, l'autre (S.J. Liebowitz,
Peer-to-peer networks : creative destruction or just plain destruction ?) est beaucoup plus alarmiste.
Globalement, on peut dire que les représentants des producteurs tendent à imputer la chute des ventes
de disques au développement du peer-to-peer alors qu'il apparaît que d'autres facteurs pourraient
expliquer ce phénomène : « la récession économique, la fin du cycle technologique du CD et du
remplacement des vinyles, la réduction de la diversité de l'offre, la diminution de la qualité,
l'incohérence de la politique des prix, les prix souvent trop élevés, le déplacement de la consommation
vers d'autres supports ou loisirs (DVD, webradios, etc.) » (T. Krim, Le peer to peer, un autre modèle
économique pour la musique, p. 136). D'ailleurs il faut noter que d'avril 2004 à mars 2005, les ventes
de supports vidéo ont progressé de 31,3% en volume et 16,2 % en valeur (Baromètre vidéo CNC-
GFK : www.cnc.fr) alors même que l'échange de films sur Internet s'est beaucoup développé sur cette
même période.
6 À ce propos, au mois d'avril 2005, on pouvait lire dans Télérama : « dans le domaine musical, nous
assistons à une revanche du consommateur sur les industriels du disque. Il y a eu trop de promotion,
trop de marketing, pour une offre jugée dans l'ensemble médiocre. Le consommateur a fini par réagir.
Il se débrouille autrement, il ruse, il détourne, il copie, il pirate, il transforme, il redistribue. Insatisfait
de ce qui lui est proposé par le marché, il décide de décider lui-même. Et la technologie le lui permet :
une possibilité de numérisation et de stockage gigantesque, des flux extrêmement rapides » (Propos de
J.-B. Coumau, repris par D. Conrod dans son article : « A l'heure des journaux gratuits, du
téléchargement musical et de la TNT, quel est le vrai coût de la gratuité ? », Télérama n° 2884, 20
avril 2005, p. 26.). Pourtant, on reconnaît un peu plus loin dans le même article que « cette gratuité là,
qui nous enchante ou nous arrange, a un coût. Il est exorbitant, probablement terrifiant : il concerne
autant la destruction illimitée de la nature que le droit des gens à travailler dignement ».

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juridique du phénomène. Le peer-to-peer, comme on l'a dit, est un système d'échange
de fichiers. Deux actes peuvent donc être identifiés : le téléchargement qui permet à
l'internaute de se procurer l'oeuvre proposée par un de ses pairs, et la mise à
disposition, qui lui donne la possibilité, à son tour, de proposer des oeuvres aux tiers.
Ce processus conduit alors à un constat très simple : le téléchargement qui permet de
réaliser une copie met en oeuvre le droit de reproduction des auteurs7 et titulaires de
droits voisins8 alors que la mise à disposition s'analyse comme un acte de
représentation9 et de communication au public10. Donc dès qu'une oeuvre est
téléchargée puis mise à disposition sans le consentement des ayants droit, on peut
considérer qu'il y a contrefaçon.

4. La difficulté tient au fait qu'actuellement, les auteurs et titulaires de droits voisins
ne perçoivent aucune rémunération en contrepartie de ces actes d'exploitation. Les
échanges d'oeuvres prenant des proportions de plus en plus importantes, la réplique ne
pouvait se faire attendre bien longtemps et les ayants droit ont donc réclamé en justice
le respect de leurs droits de propriété littéraire et artistique. Restait à savoir qui devait
être poursuivi : le fournisseur du logiciel de partage (1), le fournisseur d'accès à
internet (2) ou l'internaute qui télécharge (3). Et au-delà de ces solutions judicaires,
apparaît alors l'idée d'une issue législative, qui passerait par la mise en place de
systèmes alternatifs de compensation (4).




1. ­ Les actions contre les fournisseurs de logiciels


7 CPI, Art. L 122-3 : « la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés
qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte ».
8 CPI, Art. L 212-3 pour les interprètes, art. L 213-1 pour les producteurs de phonogrammes et art. L
215-1 pour les producteurs de vidéogrammes.
9 CPI, Art. L 122-2 : « la représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un
procédé quelconque (...) ».
10 CPI, Art. L 212-3 pour les interprètes, art. L 213-1 pour les producteurs de phonogrammes et art. L
215-1 pour les producteurs de vidéogrammes.

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5. Dans un premier temps, le souci de trouver un débiteur solvable mais aussi la
volonté de pouvoir faire condamner la pratique du peer-to-peer elle-même a conduit à
tenter d'impliquer les fournisseurs de logiciels. Cette « stratégie » a tout d'abord pu
sembler efficace, l'affaire Napster ayant conduit à la condamnation de la société
fournissant le logiciel11. Mais, la « victoire » n'a pas pu être savourée bien longtemps.
En effet, le système sur lequel reposait le logiciel Napster étant centralisé, son
implication dans l'échange d'oeuvres protégées pouvaient difficilement être contestée.
Napster stockait un index des fichiers musicaux sur des serveurs lui appartenant et
mettait en relation directe la personne recherchant le fichier et celle l'ayant proposé.
Mais lorsque des systèmes « décentralisé » sont apparus, l'argument a perdu toute
pertinence...

6. Désormais, l'ordinateur de chaque internaute membre de la communauté peer-to-
peer constitue en quelque sorte un serveur sur lequel sont stockés des oeuvres que les
tiers peuvent venir y chercher. Le système est donc bel et bien décentralisé et le
fournisseur du logiciel ne joue même plus le rôle d'intermédiaire.

7. C'est ici l'affaire Grokster soumise au juge américain qui peut servir d'exemple12.
On a notamment souligné à cette occasion que le fournisseur du logiciel ne participe
pas directement à la violation du copyright dans la mesure où même s'il venait à
interrompre ses activités, l'échange de fichiers ne serait aucunement perturbé. De plus,
il n'a aucun moyen d'empêcher l'échange d'oeuvres protégées puisqu'il ne peut
identifier les fichiers qui circulent sur le réseau. L'argumentation développée par les
tenants du peer-to-peer est pour le moins habile13. En effet, le peer-to-peer n'est pas

11 A&M Records v. Napster, 239 F. 3d 1004 ( 9th cir. 2001).
12 Affaire jugée le 19 août 2004 : MGM Studios, Inc. et al. V. Grokster Ltd et al., 259 F. Supp. 2d
1029, 2003, US Dist. Décision commentée par A. Lucas : propr. intell. oct. 2004, p. 920. V. aussi Cour
suprême des Pays-Bas, aff. Buma-Stemra contre KaZaA, 19 décembre 2003 (écarte la responsabilité
du fournisseur du logiciel).
13 À tel point même que certains n'hésitent pas à modifier leur mode de fonctionnement pour limiter
les risques de poursuite. Ainsi, l'application BitTorrent supposait initialement que les internautes se
rendent sur des sites spécialisés qui leur permettaient de localiser l'oeuvre qu'ils souhaitaient
télécharger. L'oeuvre n'était pas stockée sur ce site, sa localisation était seulement indiquée. On aurait
toutefois pu en tirer argument pour poursuivre en justice le fournisseur du logiciel. C'est sans doute

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illicite en soit : la technique est neutre en ce qu'elle permet aussi bien d'échanger des
oeuvres protégées que des créations appartenant au domaine public. Il faut toutefois
souligner que la question n'a jamais été posée au juge français et qu'il y aurait sans
doute matière à débattre sur ce point, notamment en exploitant la théorie de la
complicité en droit pénal ou celle de la responsabilité pour faute en droit civil.

8. En droit pénal tout d'abord, on sait que la condamnation du complice suppose
l'existence d'une infraction principale, objectivement punissable. Dans le cas du peer-
to-peer, l'infraction est constituée par la contrefaçon, érigée en délit par l'article L
335-3 CPI14. Elle est commise à titre principal par l'internaute qui télécharge une
oeuvre et la met à disposition des tiers sans l'autorisation des ayants droit.
Reste ensuite à établir l'existence d'un acte de complicité. L'article L 121-7 du Code
pénal envisage deux cas de complicité : par aide ou assistance tout d'abord, par
instigation ensuite. Dans l'hypothèse qui nous intéresse, on se situerait dans le premier
cas de figure : le fournisseur du logiciel donne aux internautes le moyen de commettre
le délit de contrefaçon. En fait, on retrouve la complicité par fourniture de moyens, qui
était visée par l'article 60 alinéa 2 de l'ancien Code pénal et qui a été inclue
« implicitement dans le concept assez large d'aide et d'assistance »15.
Au-delà de l'élément matériel de complicité, il faut évidemment caractériser l'élément
moral, autrement dit l'intention du complice de permettre la réalisation de l'infraction.
Ici, on peut difficilement défendre l'idée que le fournisseur du logiciel aurait participé
involontairement à l'échange d'oeuvres protégées... Il peut donc encourir les peines
prévues pour l'auteur principal de l'infraction16.

9. En droit civil ensuite, on sait que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à
autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »17 et la

pour cette raison que désormais « les informations de localisation des fichiers ne sont (...) plus
centralisées sur un serveur, mais échangées directement entre les différents utilisateurs » (R. LeMay,
P2P : BitTorrent donne du fil à retordre aux majors : www.zdnet.fr).
14 La complicité des crimes et délits est toujours punissable selon l'article L 121-7 C.pén.
15 J.Pradel, Droit pénal général, Cujas, 15ème éd., 2004, n°435.
16 C. pén., art. L 121-6 : « sera puni comme auteur le complice de l'infraction au sens de l'article 121-
7 ».
17 C.civ., art. 1382.

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généralité des termes utilisés par le législateur laisse la possibilité d'en faire
application dans le cas qui nous intéresse ici.

10. Quoi qu'il en soit, les actions menées à l'encontre des fournisseurs de logiciels
ayant échoué, on s'est retourné vers les fournisseurs d'accès à Internet.


2. ­ Les actions contre les fournisseurs d'accès à internet


11. On a d'abord voulu contraindre les fournisseurs d'accès à révéler les noms de leurs
abonnés, supposés contrefacteurs. Ce type de demande, apparu au Canada18 ou aux
Etats-Unis19, n'a pas eu beaucoup de succès auprès des juges.

12. Mais les fournisseurs d'accès ont aussi été confrontés à d'autres types de
demandes. Ainsi, au Canada, la SOCAN (société canadienne des auteurs, compositeurs
et éditeurs de musique) a pu assigner l'association canadienne regroupant les
fournisseurs d'accès à internet pour lui réclamer le paiement de redevances. Cette
démarche repose sur l'idée que les fournisseurs d'accès contribuent à la diffusion
illicite d'oeuvres protégées. La Cour suprême du Canada s'est prononcée le 30 juin
200420 pour décider, là aussi, de retenir l'irresponsabilité des fournisseurs d'accès. En
effet, les fournisseurs d'accès ne font que permettre la communication sans agir sur

18 Cour fédérale du Canada, 31 mars 2004 BMG Canada Inc. et al. C. John Doe : 2004 FC 488. V. Y.
Gaubiac et T. Moreau, Peer-to-peer : chronique du Canada : Comm.com. électr. 2004, chron. 34.
19 Cour d'appel fédérale du circuit du district de Columbia, 19 déc. 2003. À ce propos, lire : Y.
Gaubiac, Logiciels et distribution de musique peer-to-peer : Comm.com. électr. 2004, chron. 7. En
l'espèce l'association représentant les Majors de l'industrie musicale n'a pu obtenir gain de cause car
les dispositions du DigitalMillenium copyright Act (section 512 h) ne peuvent s'appliquer au
fournisseur d'accès qui assure simplement la transmission de données, sans les enregistrer sur ses
propres serveurs. La solution a alors consisté, pour les représentants des ayants droit, à assigner un
individu inconnu (baptisé John Doe par usage) pour que le juge puisse ensuite exiger du fournisseur
d'accès la divulgation de l'identité réelle de la personne poursuivie.
20 2004 CSC 45.

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son contenu, ce qui, au regard de la loi canadienne21, les met nécessairement hors de
cause.

13. Le même type d'action a été engagé par la SABAM (Société Belge des Auteurs,
Compositeurs et Editeurs) en Belgique22. La décision présente un intérêt particulier
puisque la loi belge est interprétée à la lumière de la directive commerce électronique.
Les juges estiment alors que le fournisseur d'accès Tiscali, qui représente près de 4%
des parts du marché belge, compte nécessairement parmi ses clients des internautes
adeptes du peer-to-peer et qui violent les droits d'auteur des membres de la SABAM.
Les propos du tribunal sont assez clairs sur ce point : « il n'existe aucune raison de
croire que la SA Tiscali (...) serait épargnée par le phénomène en ce sens que les
internautes clients de ses services n'utiliseraient pas les logiciels peer-to-peer pour
échanger des oeuvres musicales de manière illicite ». Dès lors ils en déduisent « qu'est
établie l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales faisant partie
du répertoire de la SABAM du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques
musicaux grâce à des logiciels peer-to-peer et ce, au travers de l'utilisation du réseau
internet de la SA Tiscali ». Or, « la constatation d'une atteinte au droit d'auteur
contraint en principe le tribunal à en prononcer la cessation ».

14. Le point le plus intéressant ici tient aux rapports ainsi établis entre les dispositions
relatives au droit d'auteur et celles de « la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects
juridiques des services de la société de l'information réglant la responsabilité des
fournisseurs de services qui interviennent comme intermédiaires ». En effet, les juges
font clairement prévaloir les règles relatives au droit d'auteur. Ainsi on peut lire «que
l'atteinte au droit d'auteur (en l'espèce une violation du droit exclusif de reproduction
et du droit exclusif de communication au public des ayants droit dont la SABAM gère
les droits) est illégale indépendamment de toute recherche d'une quelconque faute ou
manquement au devoir de prudence » et en conséquence, « la SABAM ne doit (...) pas

21 Art. 2. 4(1) b de la loi sur le droit d'auteur : un fournisseur d'accès à internet « n'effectue pas la
communication d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, lorsqu'il ne fait que fournir à un tiers les
moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue ».
22 TPI Bruxelles, réf., 26 novembre 2004, SABAM c/ Tiscali : www.juriscom.net.

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démontrer que la SA Tiscali commettrait une faute ou manquerait à son obligation
générale de prudence par le fait de permettre au travers de ses services d'accès à
internet les échanges d'oeuvres musicales à l'aide de logiciels peer-to-peer » dès lors,
« la référence faite en conclusions par la SA Tiscali aux dispositions de la loi du 11
mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l'information
réglant la responsabilité des fournisseurs de services qui interviennent comme
intermédiaires n'est (...) pas pertinente ». Les juges précisent encore que « l'article 87,
§ 1er, de la LDA interprété à la lumière de l'article 8.3 de la Directive 2001/29
constitue en conséquence la base légale suffisante et nécessaire pour constater les
infractions au droit d'auteur découlant de l'utilisation des logiciels peer-to-peer pour
échanger des oeuvres musicales protégées sans autorisation de la SABAM et pour
ordonner à la SA Tiscali, en sa qualité d'intermédiaire dont les services sont utilisés
pour commettre ces infractions, de prendre les mesures de nature à les faire cesser ».

15. On peut se demander si la même solution serait retenue par les juges français.
L'article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique,
qui transpose la directive commerce électronique, écarte en effet la responsabilité des
« prestataires techniques » du fait « des activités ou des informations stockées à la
demande d'un destinataire » de leurs services s'ils « n'avaient pas effectivement
connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce
caractère ou si, dès le moment où (ils) en ont eu connaissance, (ils) ont agi
promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ».

16. L'issue des poursuites engagées contre les fournisseurs d'accès ou de logiciels
s'étant révélée aléatoire, les représentants des ayants droit ont choisi d'assigner
directement les internautes qui échangent des oeuvres grâce au peer-to-peer.

3. ­ Les actions contre les internautes


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17. Les affaires se sont multipliées ces derniers mois23, provoquant de vives
réactions24.
Les décisions condamnant les internautes pour contrefaçon sont souvent présentées
comme injustes, contrariant la liberté qui devrait régner sur Internet et méconnaissant
le « droit du public ». A l'inverse, lorsqu'une personne échappe à toute condamnation,
on crie victoire et on en déduit qu'aucun internaute ne devrait désormais être
poursuivis. Il faut reconnaître que la situation n'est pas satisfaisante.

18. Assigner quelques internautes « pour l'exemple » est censé dissuader les autres de
poursuivre leurs « échanges ». L'impact des décisions judicaires est pourtant bien
différent. Ces jugements et arrêts créent une véritable incompréhension du droit de la
propriété littéraire et artistique et on voit se développer l'idée, dans l'opinion publique,
que le droit d'auteur et les droits voisins ont perdu toute légitimité. De plus, on ne
cherche pas à donner aux internautes la possibilité de pratiquer le peer-to-peer avec
l'autorisation des ayants droit, on veut seulement faire condamner un système
d'échanges dont la disparition est pourtant difficilement envisageable. Enfin, on peut
sérieusement douter que ces condamnations soient réellement dissuasives. Certes, aux
Etats-Unis, on a pu constater que les poursuites engagées à l'encontre des utilisateurs
d'un réseau avaient pour conséquence de faire baisser la fréquentation de ce réseau.
Mais en réalité, les internautes n'ont pas été dissuadés de poursuivre leurs échanges,
ils se sont simplement reportés sur un autre logiciel de partage25...


23 Dès 2003, la RIAA (Recording industry association of America) a engagé des poursuites contre les
internautes et elle a fait part récemment de son intention de lancer 753 nouvelles procédures, ce qui
porterait à « 9000 le nombre d'actions intentées par le syndicat » (En bref : Comm.com.électr. mai
2005, p.4). Pour la France, V. par exemple : TGI Vannes, 29 avril 2004 : Comm.com. électr. 2004,
comm. 86, obs. C.Caron ; Propr. intell. 2004, n°12, p. 779, note P.Sirinelli. ­ TGI Arras, 20 juillet
2004 : Comm.com. électr. 2004, comm.139, obs. C. Caron. ­ TGI Rodez, 13 oct. 2004 : Comm.com.
électr. 2004, comm.52, obs. C. Caron ; Propr. intell. 2005, n° 14, p. 56, note P. Sirinelli ; D. 2004,
jurispr. p. 3132, note J. Larrieu. et dans la même affaire : CA Montpellier, 10 mars 2005 : Propr. intell.
n° 15, p. 168, obs. P. Sirinelli ; Comm.com. électr. 2005, comm. 77, obs. C. Caron. ­ TGI
Châteauroux, 15 déc. 2004 : Propr. intell. n° 15, p. 168, obs. P. Sirinelli. ­ TGI Pontoise, 2 février
2005 : Propr. intell. n° 15, p. 168, obs. P. Sirinelli. ­TGI Meaux, 21 avril 2005 : www.juriscom.net.
24 V. par exemple, F.Latrive, Musique en ligne : la tactique du pire : Libération, 28 sept. 2004.
25 V. le livre blanc de la Spedidam : pour une utilisation légale du peer-to-peer : www.spedidam.fr.
(« au total, l'effet sur le volume global des échanges en peer-to-peer est nul et celui-ci continue à
progresser inexorablement »).
11

19. Dans ce contexte, on cherche parfois à « légaliser » le peer-to-peer, ou à prétendre
que telle est l'effet d'une réforme législative. Les discussions menées en Espagne suite
à la modification du Code pénal donnent une belle illustration de ces tentatives. La
FACUA (Fédération des consommateurs en action) estime que la loi organique
15/2003 du 25 novembre, modifiant l'article 270 du Code pénal26, empêche désormais
toute poursuite à l'encontre des internautes fréquentant les réseaux peer-to-peer. En
effet, ce texte ne sanctionne plus que les copies réalisées dans un but commercial,
c'est-à-dire si elles se font « à but lucratif en préjudice d'un tiers »27. La situation
semble pourtant beaucoup moins claire. Comme cela a été souligné28, on peut
légitimement se demander si télécharger une oeuvre ne manifeste pas nécessairement
une intention de porter atteinte aux intérêts des ayants droit. De même, on peut voir
dans le téléchargement une façon de réaliser un profit...

20. On semble donc se trouver dans une impasse : les associations de consommateurs
dénoncent les poursuites engagées contre les internautes ; les représentants des ayants
droits sont divisés, certains privilégiant les poursuites judicaires et favorisant le
développement des sites payants alors que d'autres défendent la mise en place d'une
solution alternative.


26 « 1. Será castigado con la pena de prisión de seis meses a dos años y multa de 12 a 24 meses quien,
con ánimo de lucro y en perjuicio de tercero, reproduzca, plagie, distribuya o comunique
públicamente, en todo o en parte, una obra literaria, artística o científica, o su transformación,
interpretación o ejecución artística fijada en cualquier tipo de soporte o comunicada a través de
cualquier medio, sin la autorización de los titulares de los correspondientes derechos de propiedad
intelectual o de sus cesionarios.
2. Será castigado con la pena de prisión de seis meses a dos años y multa de 12 a 24 meses quien
intencionadamente exporte o almacene ejemplares de las obras, producciones o ejecuciones a que se
refiere el apartado anterior sin la referida autorización. Igualmente incurrirán en la misma pena los que
importen intencionadamente estos productos sin dicha autorización, tanto si éstos tienen un origen
lícito como ilícito en su país de procedencia; no obstante, la importación de los referidos productos de
un Estado perteneciente a la Unión Europea no será punible cuando aquellos se hayan adquirido
directamente del titular de los derechos en dicho Estado, o con su consentimiento.
3. Será castigado también con la misma pena quien fabrique, importe, ponga en circulación o tenga
cualquier medio específicamente destinado a facilitar la supresión no autorizada o la neutralización de
cualquier dispositivo técnico que se haya utilizado para proteger programas de ordenador o cualquiera
de las otras obras, interpretaciones o ejecuciones en los términos previstos en el apartado 1 de este
artículo. »
27 P2P : l'Espagne joue sa propre partition : http://www.journaldunet.com.
28 Impunité du P2P : Viva España ? : www.ratiatum.com.
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4. ­ Les systèmes alternatifs


21. On a pensé que le développement des sites payants de téléchargement pouvait
dissuader les internautes de recourir au peer-to-peer. En 2004, les « achats » de
musique en ligne ont décuplé selon la Fédération internationale de l'industrie
phonographique29. Le téléchargement payant pourrait même représenter 25% du
chiffre d'affaires des maisons de disques dans cinq ans si l'on en croit le syndicat du
disque30. Dans le même temps, on a constaté une diminution du nombre de
téléchargements illégaux, de 900 à 780 millions.

22. Pourtant, il faut bien constater qu'aujourd'hui, le téléchargement payant ne
représente encore qu'1 à 2 % du chiffre d'affaires des producteurs, les internautes se
déclarant majoritairement déçu par les « sites légaux » qui proposent un catalogue trop
réduit. De plus, ils se trouvent confrontés à des problèmes de compatibilité entre les
formats de téléchargement proposés et ceux utilisés par les baladeurs numériques31.

23. Même si l'offre légale peut effectivement constituer une voie intéressante, on peut
toutefois difficilement considérer qu'elle va entraîner la disparition totale du peer-to-
peer, surtout parmi les plus jeunes, qui semblent moins enclins à renoncer au
téléchargement gratuit32. Il semble donc inévitable d'envisager le recours à des
solutions intégrant le phénomène du peer-to-peer et permettant aux internautes de
profiter en toute légalité de ce système d'échange33. Plusieurs propositions ont été
formulées en ce sens, essentiellement aux Etats-Unis. Ces systèmes reposent tous sur
la même idée : autoriser les échanges d'oeuvres tout en permettant la rémunération des

29 E. Desplanque, Musique : oreilles en pointe : Télérama 11 mai 2005, n°2887, p.62.
30 Ibid.
31 Ibid.
32 Ainsi, seulement un quart des internautes fréquente les sites légaux et « la moyenne d'age sur
fnacmusic.com tourne autour de 38 ans » (ibid.).
33 Et cela d'autant plus qu'aucune solution de filtrage des échanges par les fournisseurs d'accès à
internet n'apparaît possible en raison des coûts de fonctionnement. Voir A.Brugidou et G.Kahn, Etude
des solutions de filtrage des échanges de musique sur internet dans le domaine du Peer-to-Peer,
Rapport remis au Ministre de la culture le jeudi 10 mars 2005.
13

ayants droit. Ainsi, le Professeur Fisher34 propose de remplacer le copyright par une
licence obligatoire. La particularité du système est liée au fait qu'il repose sur le
volontariat : l'auteur qui souhaite être rémunéré pour l'exploitation de son oeuvre sur
internet doit la faire enregistrer auprès d'une agence gouvernementale qui identifie les
oeuvres les plus téléchargées et reparti entre les ayants droit une rémunération qui
pourrait être perçue auprès des fournisseurs d'accès à internet35.

24. Cette voie semble être l'une des plus intéressantes à exploiter. Outre le fait qu'elle
permet de rémunérer les ayants droits, elle peut être de nature à restituer leur légitimité
au droit d'auteur et aux droits voisins, même si on peut toujours regretter cette solution
qui privilégie un droit à rémunération plutôt qu'un droit exclusif. De plus, un sondage
Ipsos réalisé en avril 2005 établi que 83% des internautes français sont prêts à payer
une redevance aux fournisseurs d'accès pour pouvoir échanger librement des « fichiers
musicaux »36.

25. C'est dans ce contexte qu'il nous faut donc envisager le système proposé par
l'ADAMI et la SPEDIDAM :
- Pour le téléchargement : étendre la rémunération pour copie privée, en
créant un mécanisme de prélèvement auprès des fournisseurs d'accès.
- Pour la mise à disposition : créer un régime de gestion collective
obligatoire du droit de représentation et de communication au public.

26. Il s'agit donc, dans un premier temps, d'analyser le téléchargement, qui constitue
un acte de reproduction. L'enjeu est de déterminer si l'exception de copie privée peut
s'appliquer ici, ce qui permettrait aux ayants droit de revendiquer une adaptation de la
rémunération prévue à ce jour par le Code de la propriété intellectuelle.
Ensuite, il s'agit de s'intéresser à la mise à disposition, qui s'analyse comme un acte
de représentation ou de communication au public. On envisagera alors la possibilité de

34 An alternative compensation system, Stanford University Press, August 2004.
35 Pour d'autres exemples, V. l'étude de T. Krim, Le peer to peer, un autre modèle économique pour la
musique, p. 165.
36 www.zdnet.fr.
14

mettre en place une gestion collective obligatoire. Il faut souligner que si l'on va
étudier la possibilité d'imposer la gestion collective du droit de représentation, il ne
faut pas écarter l'éventualité d'une gestion collective du droit de reproduction mis en
oeuvre en cas de téléchargement, ce qui permettrait de présenter une solution
alternative dans l'hypothèse où cet acte ne pourrait pas constituer une copie privée.

27. La mise en oeuvre d'un tel système implique nécessairement une dimension
internationale. Cet aspect sera toutefois exclu, le peer-to-peer ne renouvelant pas les
problématiques de droit international privé.

28. Enfin, il nous faut apporter ici une précision terminologique : notre étude consiste à
envisager la faisabilité d'un système qui permettrait de rémunérer tous les ayants
droits, qu'ils soient titulaires d'un droit d'auteur ou de droits voisins. Cela devrait
donc nous conduire à évoquer, par exemple, le téléchargement des oeuvres et
prestations protégées. Toutefois, pour simplifier nos propos, nous n'évoquerons que la
situation des oeuvres, étant entendu qu'il s'agit d'oeuvres interprétées par un artiste et
fixées par un producteur. En d'autres termes, nous engloberons droit d'auteur et droits
voisins sous la même appellation, à moins qu'une différence de traitement ne s'impose.

Notre étude se divisera donc en deux chapitres :

Chapitre 1. ­ L'extension du mécanisme de la copie privée au téléchargement
Chapitre 2. ­ La gestion collective obligatoire du droit de représentation pour la mise à
disposition









15











Chapitre 1.
L'extension du mécanisme de la copie privée au
téléchargement























29. Les téléchargements réalisés via les réseaux peer-to-peer relancent la question de
l'exception de copie privée dont il nous faut rappeler ici la portée.
Les téléchargements de fichiers musicaux, de films, de photographies, de logiciels ou
de textes réalisés dans le cadre du peer-to-peer constituent des actes de reproduction
soumis au droit d'auteur ou/et aux droits voisins. Ces téléchargements échappent
toutefois au droit exclusif de reproduction des auteurs et des titulaires de droits voisins
16

s'ils relèvent de l'exception de copie privée au sens de la loi nationale applicable et
s'ils répondent au triple test posé par la directive communautaire du 22 mai 2001 et les
conventions internationales.

30. Déterminer si l'exception de copie privée peut être invoquée suppose, au préalable,
d'établir la loi applicable aux téléchargements. Lorsqu'un étranger invoque, en France,
le droit de reproduction pour s'opposer à ces actes, la loi applicable est selon l'article
5.2. de la Convention de Berne, celle « du pays où la protection est réclamée »37 ou lex
loci protectionis. Il s'agit, selon la doctrine majoritaire38, de la loi du pays pour lequel
la protection est réclamée39.

31. S'agissant du peer-to-peer, lorsqu'un étranger demande en France la protection au
titre du droit de reproduction, ce n'est pas la loi du for qui s'applique mais celle du
pays où il y a eu atteinte au droit de reproduction, autrement dit la loi du pays où a eu
lieu le téléchargement. Ce sera par exemple la loi allemande si la copie est réalisée à
partir d'un ordinateur situé en Allemagne.
La doctrine est toutefois partagée sur le point de savoir quelle est l'étendue du rôle de
la lex loci protectionis. Certains considèrent que la titularité et l'existence du droit

37 Convention de Berne, Art. 5. 2 : « En dehors des stipulations de la Convention, l'étendue de la
protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent
exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée». La Convention de Berne
pose ici une règle générale de conflit de lois. V. en ce sens, A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété
littéraire et artistique, Litec, 2004, n° 1068. ­ J.-S. Bergé, La protection internationale et
communautaire du droit d'auteur, Essai d'une analyse conflictuelle, LGDJ 1996, n° 416. Contra,
estimant que l'article 5.2 n'a pris parti que sur la sanction et non sur l'existence du droit, G.
Koumantos, Le droit international privé et la Convention de Berne : Dr. Auteur 1998, p. 448. ­ A.
Kerever, Chronique de jurisprudence : RIDA 3/1998, p. 197.
38 En ce sens, H. Desbois, A. Françon et A. Kerever, Les conventions internationales du droit d'auteur
et des droits voisins, Paris, Dalloz, 1976, n° 17. ­ F. de Visscher et B. Michaux, Précis du droit
d'auteur et des droits voisins, Bruylant, 2000, p. 632 : « la loi du pays à propos duquel la question est
posée de savoir s'il y a un droit exclusif à y faire valoir et quel en est le contenu ». ­ A. Lucas, Aspects
de droit international privé de la protection d'oeuvres et d'objets de droits connexes transmis par
réseaux numériques mondiaux, Colloque de l'OMPI sur le droit international privé et la propriété
intellectuelle, Genève, 30 et 31 janvier 2001, p. 12, n° 31.
39 Le plus souvent, la lex protectionis coïncidera avec la lex fori, l'auteur saisissant le juge du pays où
son droit a été violé. Mais, l'auteur pourra très bien saisir un autre juge que celui du pays de la
contrefaçon, par exemple en se prévalant d'un privilège de juridiction, ou en invoquant des règles de
compétence internationales pour ester dans le pays où le contrefacteur a des biens. V. A. et H.-J.
Lucas, op. cit., n° 1066. ­ J.-S. Bergé, La protection internationale et communautaire du droit d'auteur,
op. cit., n° 309.
17

doivent rester soumis à la loi du pays d'origine40. Nous pensons, avec d'autres41, que la
lex loci protectionis a vocation, bien au contraire, à régir l'ensemble des questions
relevant du droit d'auteur ou des droits voisins. Appliqué aux téléchargements réalisés
par un système de peer-to-peer, le domaine de la lex loci protectionis recouvre les
points suivants : l'existence de l'exception, son application aux téléchargements,
autrement dit les conditions d'application de cette exception (définition du copiste,
condition d'une source licite, rémunération...).
Si on reprend notre exemple de téléchargements réalisés à partir d'un ordinateur situé
en Allemagne, il conviendra alors de voir si, au regard de la loi allemande, ceux-ci
entrent dans le champ d'application de l'exception pour copie privée telle qu'elle est
prévue et définie par cette loi.

32. Pour les téléchargements réalisés en France sans l'autorisation des ayants droits,
leur licéité dépend de l'application de l'exception pour copie privée prévue par le
Code de la propriété intellectuelle, exception dont il nous faut rappeler le contenu.
L'article L. 122-5 CPI dispose que l'auteur « ne peut interdire les copies ou
reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective
». L'article L. 211-3 CPI prévoit également que «
les
reproductions strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise »
échappent au droit exclusif des artistes-interprètes et des producteurs de
phonogrammes et de vidéogrammes. L'exception de copie privée est toutefois écartée
pour les logiciels et les bases de données42. Cette exception est assortie d'un système
de compensation équitable. L'article L. 311-1 CPI prévoit en effet que les auteurs, les

40 Remettant à la loi du pays d'origine la question l'existence du droit, J.-S. Bergé, op. cit, n° 320. ­
Ou encore celle de la titularité, H. Battifol et P. Lagarde, Droit international privé, tome 2, LGDJ, 7e
éd., 1983, n° 531. ­ M. Josselin-Gall, Les contrats d'exploitation du droit de propriété littéraire et
artistique, Etude de droit comparé et de droit international privé, GNL Joly Editions, 1995, n° 271. ­
J.-S. Bergé, La protection internationale et communautaire du droit d'auteur, op. cit., n° 320. ­ F.
Pollaud-Dulian, Propriété littéraire et artistique ­ le droit commun : Répertoire Dalloz, Droit
international, fascicule 563-60, n° 67. ­ P.L.C. Torremans, The law applicable to copyright : wich
rights are created and who owns them ? : RIDA 2/2001, p. 80.
41 En ce sens, A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 986 s . - A. Strowel et J.-P. Triaille, Le droit d'auteur, Du
logiciel au multimédia, préc., p. 289-290. ­ F. de Visscher et B. Michaux, Précis du droit d'auteur et
des droits voisins, Bruylant, 2000, n° 792.
42 L'article L. 122-5-2° CPI écarte l'exception pour les bases de données électroniques et n'admet pour
les logiciels (ce qui inclut les jeux vidéos) que la copie de sauvegarde.
18

artistes et les producteurs ont droit à une rémunération au titre de la copie privée des
phonogrammes et des vidéogrammes et que cette rémunération est également due aux
auteurs et aux éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de la copie
privée réalisée sur un support d'enregistrement numérique.

33. La règle posée par les articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI est donc assez simple :
échappe au droit exclusif de l'auteur, de l'artiste et des producteurs, la reproduction
faite par le copiste pour son usage privé. Il convient de vérifier si l'acte de
téléchargement entre bien dans le champ d'application de cette exception de copie
privée posée par les articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI.
On pourrait considérer le téléchargement comme une copie privée puisque l'utilisateur
en est le seul bénéficiaire. Mais l'application de l'exception pour copie privée suscite
ici un certain nombre de difficultés ou d'incertitudes. Celles-ci concernent
l'identification du copiste (I), la licéité de la source (c'est-à-dire de la licéité la matrice
à partir de laquelle est réalisée le téléchargement) (II), l'usage privé du copiste (III), et
le fameux « test des trois étapes » prévu par le droit communautaire et les conventions
internationales auquel doivent répondre les exceptions (IV). Il restera enfin à
déterminer les modalités de calcul et de répartition de la rémunération (V).





I. L'identification du copiste


34. Afin de bénéficier de l'exception prévue par les articles L. 122-5 et 211-3 CPI, il
faut que la copie réalisée soit réservée à l'usage privé du copiste43. La détermination
du copiste est donc essentielle en droit français. Le Code de la propriété intellectuelle

43 CA Lyon 7 nov. 1958 : RIDA 3/1957, p. 146 (« pour échapper à la répression, les copies doivent
être destinées à l'usage privé du copiste, alors qu'en l'espèce le copiste est un tiers qui effectue un
travail salarié »).
19

ne donne aucune précision sur le sens du mot « copiste », un mot qui montre bien, en
revanche, que ce texte apparaît dépassé par les progrès des techniques de
reproduction44.

35. La jurisprudence a eu l'occasion de se prononcer sur la notion de copiste à propos
de la reprographie. Le problème était le suivant : qui doit être considéré comme le
copiste ? Le propriétaire de l'officine de photocopie (conception matérielle) ou celui
qui sollicite la photocopie pour son usage privé (conception intellectuelle) ?
Dans l'affaire CNRS, la jurisprudence a d'abord retenu la conception intellectuelle en
décidant que le copiste est le chercheur qui s'adresse au CNRS pour avoir des
photocopies45. La Cour de cassation a ensuite adopté une autre approche dans
l'important arrêt Rannougraphie du 7 mars 198446. Elle a en effet considéré que le
copiste est celui qui détient et exploite le matériel de reprographie. Cette conception
matérielle du copiste a été plusieurs fois réaffirmée depuis47.

36. S'agissant des téléchargements réalisés dans l'hypothèse du peer-to-peer, une
partie de la doctrine s'interroge sur l'identification du copiste un peu dans les mêmes
termes que pour la reprographie48 : s'agit-il de celui qui télécharge ou de celui qui
« ouvre » son disque dur aux tiers et permet donc la réalisation de la copie ? La
réponse à cette question est bien sûr déterminante pour le bénéfice de l'exception pour
copie privée. Si le copiste est la personne qui télécharge pour son usage personnel, on
peut envisager l'application de l'exception. En revanche, si le copiste est celui qui
ouvre son disque dur aux tiers, la copie n'est pas réalisée pour l' « usage privé du
copiste » et l'exception est donc exclue.


44 En ce sens, A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 300
45 TGI Paris, 28 janv. 1974 : D. 1974, jur. p. 337, note Desbois ; JCP 1975, II, 18163, note Françon.
46 Cass. civ. 1re, 7 mars 1984 : JCP 1985, II, 20351, note Plaisant ; RTD com 1984, p. 677, obs.
Françon.
47 CA Paris, 25 juin 1997 : RJDA 1997, n° 1561 ; JCPE 1997 Panor. 1348. ­ CA Toulouse, 25 mai
1997 : RIDA 1/1998, p. 323.
48 C. Caron, commentaire sous T. corr. Vannes, 29 avr. 2004 : Comm. com. électr. 2004, comm. 86. ­
P. Sirinelli, obs. : Propr. intell. juillet 2004, p. 782.
20

37. Cette comparaison avec la notion de copiste appliquée aux officines de photocopies
pour le droit de reprographie nous semble discutable. Dans le cas du peer-to-peer, c'est
bien la personne qui télécharge qui réalise la copie, que l'on retienne une conception
intellectuelle ou matérielle de la notion de copiste. En effet, l'internaute choisit le
contenu de la copie et effectue le téléchargement depuis son ordinateur personnel
connecté à Internet : c'est lui qui détient les moyens matériels de reproduction. On
ajoutera que la décision Rannougraphie précitée à une portée limitée49. Elle n'a été
appliquée qu'au cas particulier des officines de photocopies et plus récemment de
graveurs50 qui mettent à disposition du public contre rémunération le matériel
permettant la reproduction massive des oeuvres. Cette situation nous paraît bien
éloignée de la pratique du peer-to-peer. Celui qui « ouvre » son disque dur met les
oeuvres à la disposition des internautes du réseau peer-to-peer, il réalise un acte de
représentation et non de reproduction. Le copiste est celui qui réalise la copie51,
autrement dit en ce qui nous concerne l'internaute qui télécharge le fichier52.
II. La licéité de la source

38. Pour qu'une copie soit privée et donc libre, la matrice à partir de laquelle on la
réalise doit-elle, elle-même, être licite53 ? Cette question de la licéité de la source,
longtemps délaissée par la doctrine, divise aujourd'hui à propos du peer-to-peer54. En

49 En ce sens, A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 302
50 V. notamment, T. corr. Valence, 2 juillet 1999 : Comm. com. électr.1999, comm. 5, C.Caron (« que
le client réalise lui-même sa copie ou que la tâche soit matériellement effectuée part l'exploitant ne
change que les modalités d'accomplissement de l'acte et non son économie. En mettant à la
disposition du public le matériel et l'installation permettant la reproduction massive par lui-même ou
en libre service d'oeuvre musicales ou de logiciels, M. X. qui n'a pas sollicité l'autorisation des
propriétaires et qui savait qu'il rendait ces moyens matériels aisément accessible à des personnes
n'ayant pas acquitté les droits d'auteur ou n'ayant pas acquis de licence d'utilisation a organisé
sciemment la contrefaçon »)...
51 H. Desbois, Le droit d'auteur en France, 3e éd., Dalloz 1978, n° 243 bis.
52 Le téléchargement réalisé via un réseau peer-to-peer doit être bien distingué de l'envoi d'une oeuvre
par courrier électronique, envoi qui aboutit à une fixation de l'oeuvre dans l'ordinateur du destinataire
de ce courrier. L'exception pour copie privée ne peut jouer dans cette dernière hypothèse car la copie
est destinée à une autre personne que le copiste. En ce sens, A. et H.-J. Lucas, op. cit, n° 302, note
446. ­ Internet et les réseaux numériques, Rapport du Conseil d'Etat, La documentation française,
1998, p. 143. ­ Y. Gaubiac et J.C. Ginsburg, L'avenir de la copie privée numérique en Europe :
Comm. com. électr. 2000, chron. 1 note 3.
53 P. Sirinelli : Propr. intell. juillet 2004, p. 782.
54 E. Papin, Le droit d'auteur face au peer to peer : Légipresse mars 2003, n° 199, II, p. 26, spéc. p. 28.
­ C. Caron : Comm. com. électr. 2004, comm. 86. ­ P. Sirinelli, obs. préc., p. 782.
21

réalité, le débat ne concerne pas tant la question de savoir si la matrice à partir de
laquelle on réalise la copie est licite55 mais plutôt de savoir s'il s'agit d'une
condition d'application de l'exception pour copie privée.

39. Une partie de la doctrine considère que lorsque le fichier téléchargé est illicite
parce qu'il a été mis à la disposition sans autorisation des auteurs et titulaires de droits
voisins, cette illicéité contamine l'acte de téléchargement et ne permet donc pas à
l'internaute de se prévaloir de l'exception de copie privée. On peut en effet penser
qu'« il serait incohérent de concevoir qu'un acte licite ­ la réalisation d'une copie
privée en application de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ­
puisse avoir pour origine l'existence d'une contrefaçon et se situer dans son sillage. Il
est, dès lors, logique que la copie réalisée à partir d'un exemplaire contrefaisant soit
elle-même contaminée par ce caractère illicite et ne puisse pas être couverte par
l'exception pour copie privée. (...) »56. On serait en présence d'« une contrefaçon de
contrefaçon »57. L'internaute ne pourrait donc bénéficier de l'exception pour copie
privée à moins d'être sûr que le titulaire des droits a donné son accord à la mise à
disposition.

40. A l'appui de cette thèse, on pourrait également invoquer l'article 5.1 de la directive
« société de l'information » du 22 mai 2001 qui impose aux Etats membre d'introduire
une nouvelle exception pour les actes de reproduction provisoires. Ce texte prévoit en
effet que « les actes de reproduction provisoires (...) qui sont transitoires ou
accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique, et
dont l'unique finalité est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par

55 On s'accorde à dire que s'agissant du peer-to-peer, il y a de fortes chances pour que la source soit
illicite.
56 Monsieur Caron invoque également à l'appui de son propos un arrêt de la Cour de cassation du 24
septembre 2003 qui a rappelé que les marchandises contrefaites étaient hors du commerce, autrement
dit elles n'ont pas d'existence juridique (Cass. com., 24 sept. 2003 : D. 2003, jur. p. 2683, note
C.Caron ; Comm. com. élec. 2004, comm. 32, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ. 2003, p. 703, obs. J.
Mestre et B. Fages). Selon Monsieur Caron (comm. préc.), « il en résulte qu'une exception licite ne
peut pas prospérer grâce à la sève d'un chose considérée comme hors du commerce car contrefaisante.
C'est pourquoi il apparaît que les échanges de fichiers, par le système du peer-to-peer, sont donc bien
illicites ».
57 P. Sirinelli, obs. préc., p. 782.
22

un intermédiaire, ou une utilisation licite d'une oeuvre ou d'un objet protégé, et qui
n'ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de
reproduction»58. On voit bien, à la lecture de cette disposition, que l'exception pour les
reproductions provisoires ne joue que dans la mesure où l'auteur a autorisé la
communication au public de son oeuvre. Si l'auteur n'autorise pas la communication
au public de son oeuvre, l'utilisation de l'oeuvre est illicite et les reproductions
provisoires sont contrefaisantes.
Cette disposition paraît aller dans le sens de l'exigence d'une source licite pour
admettre l'application de l'exception de copie privée. Cette condition serait un
présupposé pour pouvoir en bénéficier59.

41. Toujours à l'appui de cette interprétation, on peut citer également la loi allemande
beaucoup plus complète que la loi française sur ce point. En transposant la directive du
22 mai 2001, le législateur allemand a en effet introduit la précision suivante : celui
qui réalise une copie à partir d'un exemplaire manifestement illicite ne peut pas
revendiquer le bénéfice de l'exception de copie privée.
Il faut admettre toutefois qu'il existe un obstacle pratique à la mise en oeuvre de cette
thèse pour les téléchargements. Comment déterminer si la source est (manifestement)
licite ou non ? On se heurte ici à un obstacle à la fois technique et pratique.

42. Mais au-delà de ces difficultés, on peut penser que cette exigence de licéité de la
source ne vaut, en droit français, que pour les actes de reproductions provisoires et non
pour la copie privée. Cette idée de contamination de la copie par le fichier d'origine
relève en effet d'une interprétation de l'exception de copie privée qui dépasse la lettre
des textes. Cette condition de la licéité de la source ne figure pas dans les articles L.
122-5 et L.211-3 CPI. On ne trouve rien non plus dans les travaux parlementaires de la
loi du 11 mars 1957 et de la loi de 1985. Quant à la jurisprudence, il semble qu'elle ne
se soit jamais vraiment intéressée à la question. Mais ne pourrait-on pas invoquer le

58 Nous soulignons. Le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de
l'information adopté en Conseil des ministres le 12 novembre 2003 prévoit d'introduire cette règle en
complétant l'article L.122-5 CPI par un nouvel alinéa 6.
59 V. en ce sens, F. Valentin et M. Terrier, Peer-to-peer : panorama des moyens d'action contre le
partage illicite des oeuvres sur Internet : Legicom n° 32, 2004/3, p. 22.
23

principe de l'interprétation restrictive des exceptions ? Nous ne le croyons pas60. Il
nous semble en effet que l'interprétation stricte des exceptions n'autorise pas à ajouter
une nouvelle condition dans le silence de la loi.

43. En ce sens, on a aussi pu s'interroger sur l'intérêt d'une exception de copie privée
qui ne pourrait s'appliquer que sous réserve de la licéité de la source. En effet, si on
considère que « la copie privée n'est licite que si la copie a été faite à partir d'une
copie légitimement acquise (...) cela revient à restreindre considérablement la portée
de l'exception de copie privée »61. Cette affirmation repose sur l'idée que
« l'acquéreur légitime du support matériel de l'oeuvre n'aura que rarement un intérêt
réel à effectuer la reproduction d'une oeuvre dont il possède d'ores et déjà un
exemplaire »62. On a même pu ajouter qu' « il n'est pas certain qu'une disposition
législative expresse ait été nécessaire pour accorder un tel droit à l'acquéreur légitime
d'un exemplaire d'une oeuvre de l'esprit. Ce que cet acquéreur réalise sur l'oeuvre,
pour son compte exclusif, au sein de son domicile privé, paraît difficilement devoir
faire l'objet d'une autorisation de la loi puisque le monopole de l'auteur d'exploitation
publique de l'oeuvre n'est pas atteint »63. Il faut toutefois souligner dès à présent que ce
dernier argument ne peut emporter la conviction. Certes, pendant longtemps il a été
très difficile de contrôler les copies réalisées dans l'intimité des foyers, mais cela ne
peut permettre de considérer que le droit d'auteur n'est pas en jeu. Dans la logique du
droit de la propriété littéraire et artistique, dès lors qu'une reproduction est réalisée,
elle doit être autorisée sauf exception expressément prévue par la loi.
44. On peut donc penser que le téléchargement constitue un acte de copie privée quelle
que soit l'origine de la copie. Le droit comparé est riche d'enseignements sur ce point.

45. Par une décision du 12 mai 2004, le tribunal néerlandais de Haarlem a rejeté la
demande de Stichting Brein (association locale contre le piratage), tendant à faire
reconnaître le moteur de recherche « Zoekmp3 » coupable de contrefaçon parce qu'il

60 Contra, P. Sirinelli, obs. préc., p.782
61 E. Papin, Le droit d'auteur face au peer-to-peer : Légipresse mars 2003, n°199, II, p. 26.
62 Ibid.
63 Ibid.
24

référence des sites internet qui proposent de télécharger de la musique au format mp3
sans l'autorisation des titulaires de droits. Selon le tribunal de Haarleem, le fait de
renvoyer vers des sites qui proposent, sans autorisation, des fichiers musicaux n'est
pas illégal dès lors que, selon eux, télécharger des fichiers illégaux sans les partager
n'est pas en contradiction avec la législation sur les droits d'auteur64 : « le législateur
stipule (sic), au regard de la loi actuelle sur les droits d'auteur et la loi sur les droits
annexes, ainsi que la directive [européenne] et son projet de transposition, que la copie
pour usage privé d'un fichier MP3 contrevenant/illégal ne constitue pas une violation
de ladite loi ... il ne peut être question d'acte frauduleux que si l'utilisateur du fichier
téléchargé le multiplie ou le rend disponible »65. Autrement dit, seule la mise à
disposition du fichier est interdite.

46. Cette décision est isolée en Europe, mais elle fait écho à celle que la Cour fédérale
du Canada avait rendu le 31 mars 200466 dans une affaire qui opposait les grandes
maisons de disques (BGM, EMI, Sony, Universal, Warner, etc) et certains fournisseurs
d'accès Internet canadiens (Shaw Communications inc., Rogers Cacle communications
inc., Bell Sympatico, Telus inc. Et Vidéotron ltée). La Cour fédérale du Canada a
reconnu que le téléchargement de fichiers musicaux en ligne n'est pas illégal. Selon
elle, le fait de télécharger un fichier sur son disque dur est couvert par l'article 80 (1)
de la loi sur le droit d'auteur qui précise que « ne constitue pas une violation du droit
d'auteur (...) le fait de reproduire pour usage privé l'intégralité ou toute partie
importante de (...) cette oeuvre ».

64 D'après la loi en vigueur aux Pays-bas, un particulier peut effectuer des copies d'oeuvres protégées
par le droit d'auteur à condition qu'il ne les mette pas à disposition du public, et ce, peu importe qu'il
détienne l'original (Article 16.b du Copyright Act de 1912 [ivir.nl]). V. Joe Figueiredo, Court clears
Dutch music search engine of copyright violation, 13
mai 2004 : http://www.dmeurope.com.
65 Traduction rapportée par Wouter Van Lancker, Le MP3 en toute liberté aux Pays-Bas :
www.juriscom.net, 13 mai 2004 (souligné par nous) ­ V. également, S. Brandner, MP3 : télécharger
n'est pas pirater, selon le tribunal d'Haarlem : édité le 20/05/2004 sur le site www.juriscom.net.
66 V. N. Vermeys, Citoyens Canadiens, téléchargez en paix ! : édité le 05/04/2004 sur
http://www.juriscom.net
25

Elle confirme ce qu'avait déjà affirmé la commission canadienne du droit d'auteur,
dans sa décision « copie privée 2003-2004 » publié le 12 décembre 200367 et selon
laquelle « le régime ne traite pas de la source du matériel copié. La partie VIII n'exige
pas que la copie d'origine soit une copie légale. Il n'est donc pas nécessaire de savoir
si la source de la pièce copiée est une piste appartenant au copiste, un CD emprunté,
ou encore une piste téléchargée d'Internet ». La commission avait conclu que le
téléchargement de MP3 sur Internet était donc couvert par l'exception de la copie
privée.

47. La même solution pourrait être retenue en France dès lors que les articles L. 122-5
et L. 211-3 CPI n'opèrent aucune distinction selon que le copiste détient l'original ou
non, selon que la source est licite ou non.

48. En toute hypothèse, il convient de garder à l'esprit que l'obstacle de la licéité de la
source de la copie sera surmonté si on peut mettre en place un système de gestion
collective obligatoire pour la mise à disposition68.


III. L'usage privé de la copie


49. L'une des conditions essentielles d'application de l'exception de copie privée tient
précisément au fait que la copie doit faire l'objet d'un « usage privé ». Il faut donc
s'attarder ici sur cette condition, d'abord pour mieux la cerner (A), ensuite pour
souligner que comme toute exception, elle doit, en principe, donner lieu à une
interprétation restrictive (B) et enfin pour s'interroger sur une éventuelle redéfinition
de la notion même de copie privée (C).


67 V. la page 20 du rapport disponible sur le site : http://www.cb-cda.gc.ca/ . V. aussi N. Vermeys, Au
Canada, le téléchargement de MP3 sur les réseaux P2P peut-il être légal ? : édité le 05/01/2004 sur
http://www.juriscom.net.
68 V. infra.
26


A. La notion de copie privée et « l'usage privé »


50. Pour déterminer si le téléchargement constitue un acte de copie privée ou non, il
faut évidemment s'arrêter sur la notion même de copie privée, telle que définie par le
législateur. Selon l'article L 122-5-2° CPI, « lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur
ne peut interdire : les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective ». L'article L 211-3-2° CPI reprend
sensiblement la même rédaction en faisant échapper au monopole des titulaires de
droits voisins « les reproductions strictement réservées à l'usage privé de la personne
qui les réalise et non destinées à une utilisation collective ».
Deux critères sont donc retenus ici : l'usage privé du copiste et l'utilisation collective.
Il faut reconnaître qu'ils peuvent a priori sembler redondants, les notions d'usage
privé et d'utilisation collective apparaissant antinomiques.

51. On s'accorde à voir dans cette exigence d'un « usage privé » la référence à un
usage personnel, ce qui conduit par exemple à considérer que l'exception ne peut
s'appliquer si la copie est ensuite utilisée à des fins commerciales. Celui qui réalise la
copie doit s'en servir pour son propre usage et uniquement pour cela69. Cela revient
donc nécessairement à considérer que l'usage ne peut être « collectif ». En
conséquence, si on veut donner un sens à cette interdiction d'utilisation collective, il
faut sans doute admettre, que « l'exception d'usage privé cesserait de jouer lorsque la
reproduction, bien que réservée à l'usage personnel du copiste, serait affectée à des
fins collectives »70, l'exemple de l'utilisation pédagogique d'une copie, dans une salle
de classe, permettant alors de bien cerner le cas de figure envisagé.


69 Sur ce point, voir A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 303. V. aussi retenant une conception stricte de la
notion d'usage personnel : Y. Gaubiac et J.Ginsburg, L'avenir de la copie privée numérique en
Europe : Comm. com. électr. 2000, chron. 1. En ce sens : TGI Meaux, 21 avril 2005 :
www.juriscom.net (« les copies échangées entre les prévenus qui sortent ainsi de l'usage privé »).
70 A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 304.
27

52. On voit donc clairement que c'est une conception restrictive de la notion de copie
privée qui s'impose ici. Il en résulte que si l'internaute qui télécharge une oeuvre sur
Internet la met ensuite à disposition, volontairement ou non, la copie n'est plus réalisée
pour son usage privé et l'exception des articles L 122-5 et L 211-3 CPI ne peut donc
s'appliquer. L'internaute devient alors contrefacteur. C'est d'ailleurs en ce sens que
s'est récemment prononcé le Tribunal de grande instance de Meaux71, les prévenus
ayant reconnu avoir téléchargé puis mis à disposition des oeuvres grâce à des logiciels
d'échange, ils sont condamnés pour contrefaçon, leur comportement « dépassant
l'usage privé ».

53. L'une des difficultés liées au peer-to-peer repose justement sur le fait que ce
système implique par définition un échange des fichiers, en l'occurrence, des oeuvres
protégées. Or, si le téléchargement s'accompagne automatiquement et obligatoirement
d'une mise à disposition de l'oeuvre téléchargée, il ne saurait y avoir copie privée dans
la mesure où cette reproduction n'est pas destinée à l' « usage privé du copiste » mais
bien à la communauté des internautes dans son ensemble. On en trouve une illustration
dans le jugement rendu par le Tribunal de grande Instance de Pontoise le 2 février
200572. En effet, l'exception de copie privée a été écartée au motif que « le logiciel
DC++, contrairement à ce que la défense a soutenu à l'audience, impose aux
utilisateurs d'ouvrir leurs disques durs aux autres internautes raccordés au HUB ».

54. Sur ce point, il faut reconnaître qu'il est difficile d'adopter une position définitive
couvrant toutes les hypothèses de téléchargement. En effet, il faut savoir que lorsqu'un
logiciel de peer-to-peer est installé, le disque dur de l'utilisateur se trouve en quelque
sorte « coupé » en deux parties : la première contient les fichiers personnels et reste
donc privée, l'autre est ouverte et contient les fichiers qui seront mis à la disposition
des pairs. Donc, l'internaute qui télécharge peut très bien ne pas mettre à disposition
les oeuvres téléchargées. Dans ce cas, on peut penser qu'il bénéficiera de l'exception

71 21 avril 2005 : www.juriscom.net.
72 Comm.com.élec.2005, comm. n°35, obs. C.Caron ; Propriétés intellectuelles, avr. 2005, p. 168, obs.
P. Sirinelli. V.aussi F. Macrez, A l'abordage des pirates, à propos du jugement du tribunal de grande
instance de Pontoise du 2 février 2005 : Revue Lamy Droit de l'immatériel, mars 2005, n°3, p.14.
28

pour copie privée, sous réserve toutefois des discussions liées à la licéité de la source,
sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Donc finalement, on se trouve ici contraint de
raisonner au cas par cas : tout dépend de l'attitude de l'internaute. S'il décide de laisser
toutes les oeuvres téléchargées dans la partie ouverte de son disque dur, il pourra
difficilement bénéficier de l'exception de copie privée telle que prévue par la loi
française. En revanche, s'il intègre systématiquement ces oeuvres dans son fichier
personnel, il peut invoquer le bénéfice de cette exception. Il faut toutefois souligner
sur ce point qu'en pratique, les logiciels de peer-to-peer mettent automatiquement les
oeuvres téléchargées à la disposition de tous. L'internaute qui ne se préoccupe pas de
savoir si les fichiers téléchargés sont mis à disposition ou encore qui ignore qu'il a la
possibilité de se réserver l'usage des copies réalisées effectue donc, parfois à son insu,
un acte de mise à disposition qui le prive de l'exception de copie privée.

55. Mais il est au moins un cas de figure dans lequel on peut adopter une position plus
tranchée. De nombreux logiciels de peer-to-peer reposent aujourd'hui sur un système
de fractionnement de fichiers. C'est le cas par exemple des programmes eDonkey,
eMule ou encore bittorent. Dans cette hypothèse, par souci d'efficacité, les oeuvres
mises à disposition sur le réseau sont automatiquement fractionnées au moment de leur
téléchargement. L'internaute qui télécharge va donc obtenir des « fractions »
d'oeuvres, chaque fraction étant en elle-même illisible. Lorsque la totalité de l'oeuvre a
été téléchargée, le logiciel reconstitue le fichier qui peut alors être lu intégralement et
sans difficulté. La particularité du système tient ici au fait que chaque fraction
téléchargée est automatiquement mise à disposition des internautes sans que
l'internaute qui télécharge puisse s'y opposer. Dans ce cas de figure, ce dernier ne peut
faire passer l'oeuvre téléchargée de la partie « ouverte » à la partie « fermée » de son
disque dur que lorsque l'oeuvre a été « reconstituée » intégralement par le logiciel,
faute de quoi le téléchargement serait interrompu.
Certes, on pourrait prétendre que la mise à disposition ne concerne que des fractions
de fichiers et pas une oeuvre, mais il nous semble que cet argument peut difficilement
être défendu. En effet, peu importe que la mise à disposition concerne l'oeuvre dans
son ensemble ou seulement des fractions qui, une fois mises bout à bout, permettent de
29

reconstituer l'ouvre. Dans tous les cas, il y a communication au public d'une oeuvre
protégée. Donc, on voit mal ici comment on pourrait encore prétendre faire application
de l'exception de copie privée.

56. On pourrait aussi, pour tenter de justifier l'application de l'exception de copie
privée, prétendre que la finalité du peer-to-peer n'est pas la mise à disposition mais le
téléchargement. Les internautes seraient très rarement animés d'intentions altruistes et
utiliseraient le peer-to-peer pour se constituer une vidéothèque ou une phonothèque et
non pour partager leurs ressources avec leurs pairs. L'intention coupable recherchée en
droit pénal serait alors insuffisamment caractérisée.
De plus, au moment où le téléchargement est opéré, on ne peut pas déterminer si
l'utilisateur du peer-to-peer va ensuite réserver la copie réalisée à son seul usage
personnel ou s'il va, au contraire, la partager avec ses congénères. L'impossibilité de
déterminer l'intention de l'internaute pourrait conduire à admettre que l'exception de
copie privée doit lui bénéficier. Toutefois, il est également possible de considérer que
l'internaute qui adhère à un système qui repose par nature sur un échange de fichiers,
accepte, de fait, le principe de cet échange et donc la mise à disposition des oeuvres
téléchargées. Seul compterait, ici, le fait qu'il y ait mise à disposition des oeuvres
téléchargées. Il n'y aurait alors pas lieu d'opérer un « dépeçage chronologique » des
opérations réalisées par l'internaute.

57. La conclusion est inévitable, elle résulte à la fois de la lettre de la loi et du principe
selon lequel les exceptions doivent être d'interprétation stricte : on ne peut pas
affirmer que tous les téléchargements réalisés grâce au peer-to-peer peuvent bénéficier
de l'exception de copie privée. Plusieurs éléments peuvent alors être versés à la
discussion pour apprécier la pertinence de l'approche française :
- on peut d'abord constater une tendance, réelle, à remettre en cause le
principe d'interprétation stricte des exceptions.
- on peut ensuite comparer l'approche française aux solutions retenues au
niveau communautaire mais aussi dans d'autres pays, afin de déterminer si
30

notre conception de la copie privée est réellement très, voire trop,
restrictive.


B. Le principe d'interprétation stricte des exceptions


58. Ce principe, consacré par la doctrine73 et admis par la jurisprudence74, est
directement lié à une conception que l'on peut dire classique, ou humaniste, du droit
d'auteur75. En effet, si on considère que le droit d'auteur a pour « centre de gravité » la
personne du créateur, qu'il s'agit donc de protéger, il est logique que les exceptions au
droit exclusif donnent lieu à une interprétation stricte. Les intérêts de l'auteur doivent
prévaloir sur les autres intérêts en présence76. Cette approche n'est d'ailleurs
aucunement « franco-française » et se retrouve par exemple en Belgique, en Espagne
ou au Portugal77.

59. Cette logique, évidemment, ne s'impose pas dans tous les systèmes législatifs. Les
pays de copyright tendent plutôt à donner la primauté à l'intérêt public et
reconnaissent de véritables droits aux « utilisateurs », ce qui peut permettre une
interprétation plus « compréhensive » de ce qui constitue alors plus une limite qu'une
exception aux droits des créateurs.

73 A. et H.-J. Lucas, op.cit., n° 292. ­ P.-Y. Gautier, op. cit., n° 192.
74 V. par exemple, affirmant que la copie privée est « une exception précisément circonscrite » au droit
d'auteur et aux droits voisins et que « le législateur n'a pas ainsi entendu investir quiconque d'un droit
de réaliser une copie privée de toute oeuvre » : TGI Paris, 3ème ch., 30 avr. 2004 : JCP E 2004, 1101,
note T. Maillard ; JCP 2004, II, 10135, note C. Geiger ; Légipresse sept. 2004, n°214, III, p. 148, note
M.Vivant et G. Vercken ; Comm.com. électr. 2004, comm. 85, obs. C. Caron.
75 Même si l'exception concerne à la fois le droit d'auteur et les droits voisins, on peut raisonner ici
par référence au droit d'auteur car l'exception de copie privée a été conçue au regard du droit d'auteur
avant d'être appliquée aux droits voisins, consacrés en 1985.
76 V. aussi, affirmant que « les limitations aux droits exclusifs énumérées par la loi dérogent à un
principe général d'exclusivité et doivent donc être interprétées de manière stricte » : A. Lucas, Droit
d'auteur et numérique, Litec, 1998, n°335. ­ Dans le même sens : J.-L. Goutal, Traité OMPI du 20
décembre 1996 et conception française du droit d'auteur : RIDA 1/ 2001, p. 101 ; P. Sirinelli,
Synthèse : Journées ALAI, Les frontières du droit d'auteur, Cambridge, sept. 1998, p.133, spéc. p. 136
(« la liste des exceptions que les utilisateurs peuvent invoquer est limitative et ne peut être interprétée
dans un sens pouvant nuire aux intérêts des créateurs »).
77 En ce sens, P. Sirinelli, Synthèse : Journées ALAI, op.cit.
31

Dans ce contexte, la remise en cause du principe d'interprétation stricte des exceptions
était pratiquement inévitable. En effet, elle conduit à considérer que l'internaute qui
« fréquente » les réseaux peer-to-peer peut être un contrefacteur dès lors qu'il met les
oeuvres téléchargées à disposition de ses pairs. Or, dans le même temps, s'est
développé dans le public le sentiment que les oeuvres n'ont « pas de prix » et peuvent
donc être échangées librement78. Ce « décalage » ne pouvait donc manquer d'entraîner
la remise en cause de ce principe pourtant bien ancré en droit français. On voit même
apparaître l'idée que la copie privée ne serait plus une exception au droit exclusif mais
un droit subjectif reconnu aux « utilisateurs ». Ainsi même lorsque les juges79
affirment que la copie privée n'est « pas un droit reconnu de manière absolue à
l'usager », ils admettent que dans la mesure où l'exception remplie les conditions du
triple test, les systèmes techniques de protection deviennent illicites dès lors qu'ils
interdisent la réalisation d'une copie. Autrement dit, cela revient bien en définitive à
consacrer un droit à la copie privée. La doctrine elle-même devient parfois le porte-
parole de ce mouvement de contestation.

60. On peut assez légitimement plaider pour une interprétation « stricte mais
raisonnable »80 des exceptions. Ainsi, même si cela impose de prendre quelques
distances avec la lettre du texte, ce n'est pas remettre en cause la logique et le
fondement même du droit d'auteur que de considérer que l'exception de copie privée
devrait s'appliquer à la reproduction effectuée « dans un cercle de famille »81, ou,
autrement dit, que l'usage privé doit être compris comme un usage « individuel et

78 Sur ce point, V. le débat entre B.Edelman et D. Cohen, La gratuité tue-t-elle les auteurs ? Epok déc.
2004-janv.2005, n° 52, p. 50.
79 CA Paris, 4e ch., 22 avr. 2005 : www.juriscom.net
80 En ce sens : J. H. Spoor, General aspects of exceptions and limitations to copyright : general report :
Journées ALAI, Les frontières du droit d'auteur, Cambridge, sept. 1998, p. 27, spéc. p. 31 (« the
exceptions are to be interpreted restrictively, but not leaving the rationale entirely out »).
81 En ce sens, P. ­Y. Gautier, op. cit., n° 194. A l'appui de cette affirmation, M. Gautier fait remarquer
qu' « il ne serait pas raisonnable que les exceptions au droit de reproduction aient un sort différent,
plus sévère, des exceptions au droit de représentation ». V. aussi, affirmant que « quelle que soit la
force des prétentions des particuliers, logiquement, elles se limitent aux jouissance strictement
personnelles ou familiales de l'utilisateur » : Y. Gaubiac et J. C. Ginsburg, L'avenir de la copie privée
numérique : Comm.com.électr. 2000, chron. 1.
32

domestique »82. La jurisprudence fait d'ailleurs parfois aussi référence à « une
utilisation personnelle ou familiale »83.

61. Mais certains discours se font aujourd'hui plus « agressifs ». Les bouleversements
techniques intervenus depuis quelques années conduiraient à « une remise en cause des
équilibres fondant la matière »84 et si à la lumière de ces changements, on admet que
« le droit d'auteur vient arbitrer entre différents droits fondamentaux d'égale valeur et
que la loi vise à trouver un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, il ne
saurait être question d'une hiérarchie au profit de l'auteur »85. Une telle approche
revient alors évidemment à remettre en cause l'interprétation restrictive des
exceptions : si le rôle du droit d'auteur n'est plus de protéger le créateur il n'y a pas de
raison de privilégier ses intérêts lorsque l'on applique les exceptions à son droit
exclusif86.

62. Mais aujourd'hui, la remise en cause de la conception restrictive de la copie privée
ne tient pas seulement à la méthode d'interprétation des exceptions, elle s'appuie aussi
sur la définition même de l'exception de copie privée.






C. Une redéfinition de la copie privée ?



82 P.-Y. Gautier, De la transposition des exceptions : à propos de la directive « droit d'auteur dans la
société de l'information » : Comm. com. électr. 2001, chron.25.
83 TGI Paris, réf., 5 mai 1997 : RIDA 4/1997, p. 265.
84 C. Geiger, De la nature juridique des limites au droit d'auteur, Une analyse comparatiste à la
lumière des droits fondamentaux : Propriétés intellectuelles, oct. 2004, n°13, p. 882.
85 Ibid., spéc. p. 887.
86 Voir aussi, critiquant l'interprétation restrictive des exceptions : E.Dreyer, L'information par
l'image et le droit d'auteur : Comm.com. électr. 2004, chron. n° 6.
33

63. Des enseignements peuvent ici être tirés aussi bien du droit communautaire que du
droit comparé.
Au niveau communautaire, c'est l'article 5-2 b de la directive « société de
l'information » qui nous intéresse. Ce texte permet en effet aux Etats membres de
prévoir une «
exception ou limitation
»
au droit de reproduction pour les
« reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage
privé et à des fins non directement commerciales », sous réserve du versement d'une
« compensation équitable » aux ayants droit. La définition est incontestablement plus
large que celle retenue actuellement en droit français. Si on adopte ici aussi le critère
de l'usage privé, il ne s'agit pas nécessairement de l'usage privé du copiste et la notion
peut alors englober l'hypothèse déjà évoquée d'une copie réalisée « dans le cercle de
famille ». La transposition de la directive en droit français pourrait donc nous donner
l'occasion de réviser notre définition de la copie privée, même si le projet de loi de
transposition n'a pas retenu cette option.

64. L'examen des solutions adoptées à l'étranger révèle que la position française
semble moins isolée qu'on pouvait le penser. En effet, lorsque des juridictions ou
instances étrangères ont considéré le téléchargement comme un acte de copie privée,
elles ont toujours souligné que cette solution n'était possible que si la copie n'était
suivie d'aucun acte de disposition. Ainsi, selon le jugement rendu par le tribunal
néerlandais de Haarlem, le 12 mai 2004 : « le législateur stipule (sic), au regard de la
loi actuelle sur les droits d'auteur et la loi sur les droits annexes, ainsi que la directive
[européenne] et son projet de transposition, que la copie pour usage privé d'un fichier
MP3 contrevenant/illégal ne constitue pas une violation de ladite loi ... il ne peut être
question d'acte frauduleux que si l'utilisateur du fichier téléchargé le multiplie ou le
rend disponible »87. De même, la commission canadienne du droit d'auteur, dans sa
décision « copie privée 2003-2004 » publié le 12 décembre 2003, affirme que
« l'exemption prévue à l'article 80 s'applique uniquement lorsqu'une personne fait
une copie pour son usage privé. Sont expressément exclus la vente, la location,
l'étalage à des fins commerciales ou de location, la distribution, la communication au

87 Le MP3 en toute liberté aux Pays-Bas : www.ratiatum.com (souligné par nous).
34

public par télécommunication ou l'exécution publique de cette copie. Ainsi, la copie
du dernier succès de l'interprète de l'heure faite en vue de la donner à un ami viole
toujours le droit d'auteur, puisqu'il ne s'agit pas d'une copie pour usage privé. La
distribution de cette même copie à des amis en ligne est elle aussi interdite »88.

65. Jusque là, on ne peut donc pas relever de réelles contradictions entre la position
française et celle adoptée à l'étranger à propos du peer-to-peer. La confrontation avec
le droit canadien révèle toutefois une réelle « originalité » de ce dernier sur ce point.
En effet, la décision de la Commission du droit d'auteur ne s'imposant pas aux juges,
on attendait évidemment de connaître la position de ces derniers. C'est chose faite
depuis un arrêt rendu le 31 mars 2004 par la Cour fédérale du Canada89. Tout d'abord,
reprenant expressément la position adoptée par la Commission du droit d'auteur, la
Cour considère que « le fait de télédécharger une chanson pour usage privé ne
constitue pas une violation du droit d'auteur ». Mais elle va plus loin en affirmant que
« le simple fait de placer une copie dans un répertoire partagé où l'on peut y avoir
accès par l'entremise d'un service de partage de fichiers entre homologues n'est pas de
la distribution. La distribution implique un acte positif de la part du propriétaire du
répertoire partagé, comme l'envoi de copies ou le fait d'annoncer qu'elles sont
disponibles pour qui veut les copier. En l'espèce, aucune telle preuve n'a été présentée
par les demandeurs. Ils ont simplement présenté en preuve le fait que les violateurs
présumés ont mis des copies à disposition sur leurs répertoires partagés ». La décision
semble alors surprenante si on la compare au droit français et peut conduire à admettre
que l'échange d'oeuvres protégées grâce au système du peer-to-peer ne constitue pas
un acte contrefaisant dans la mesure où le téléchargement relève de la copie privée et
la mise à disposition s'opère à l'insu de l'internaute qui en permet la réalisation. Dans
cette logique, tout acte de téléchargement relève de la copie privée alors que dans
l'approche française, l'exception ne peut jouer que si la copie n'est pas ensuite
« partagée » avec les autres internautes.
Cette solution tient donc à une interprétation pour le moins compréhensive de la

88 Page 20 du rapport disponible sur le site : www.cb-cda.gc.ca (souligné par nous).
89 Décision référence
: 2004 CF 488, disponible sur http://decisions.fct-
cf.gc.ca/cf/2004/2004cf488.shtml.
35

notion de mise à disposition mais il faut bien insister ici sur le fait que le juge canadien
réaffirme néanmoins que la copie privée est celle qui est réalisée pour un « usage
privé » et si, ici, l'exception a pu bénéficier aux internautes c'est parce qu' « on n'a
déposé aucune preuve que les violateurs présumés auraient distribué des
enregistrements sonores ou autorisé leur reproduction ». Il faut d'ailleurs interpréter de
la même façon le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Rodez le 13
octobre 200490. En l'espèce, on avait retrouvé chez un internaute 488 CD-Rom gravés
reproduisant des films. Le défendeur avait reconnu avoir téléchargé une partie de ces
films « via son ordinateur pour un tiers ». Il affirmait « en avoir seulement prêté mais
jamais vendu ni échangé et ajoutait qu'ils étaient destinés à un usage personnel et qu'il
lui était arrivé de regarder des films avec deux ou trois copains ». Deux points ont
alors été avancés à l'appui de la décision du tribunal. Tout d'abord, « le fait que les
films recensés sont tous en exemplaire unique confirme les déclarations du prévenu en
indiquant que ces reproductions étaient destinées à un usage personnel et privé et
qu'elles ne s'inscrivaient pas dans une démarche de vente ou d'échange de la part du
prévenu ». Ensuite, les juges ont constaté que « l'affirmation de parties civiles selon
lesquelles (...) Monsieur D aurait procédé à la diffusion de copies contrefaites de film
par voie d'échange et de vente (...) n'apparaissent aucunement fondé ». Pour le
tribunal, la conclusion s'imposait d'elle même : « en conséquence, la preuve d'un
usage autre que strictement privé tel que prévu par l'exception de l'article L 122-5 du
code de la propriété intellectuelle par le prévenu des copies qu'il a réalisé
n'apparaissant pas rapportée en l'espèce, il convient d'entrer en voie de relaxe à son
égard ». Le même raisonnement a été adopté en appel, le 10 mars 200591, les juges
estimant « qu'il n'est démontré aucun usage à titre collectif ».

66. L'exception de copie privée pouvait donc s'appliquer pour la seule raison que l'on
n'a pas pu rapporter la preuve que les oeuvres téléchargées ont été mises à disposition.
La solution n'est pas surprenante sur ce point. En revanche, il faut noter que les juges
ont retenu ici une interprétation relativement large de la notion même de copie privée.

90 Disponible sur www.juriscom.net.
91 CA Montpellier, 10 mars 2005 : Comm. com.électr. 2005, comm.77, obs. C. Caron ; Propriétés
intellectuelles, avr. 2005, p. 168, obs. P. Sirinelli.
36

En effet, même s'ils prennent la précaution de faire référence à un usage « strictement
privé », les faits révèlent que des copies avaient été prêtées à des amis du copiste. Or,
si on applique le Code de la propriété intellectuelle à la lettre, dès lors que copiste et
usager de la copie sont deux personnes différentes, l'exception ne peut s'appliquer92. Il
semble donc bien qu'ici l'usage privé soit conçu comme une utilisation « personnelle
et familiale » pour reprendre l'expression déjà adoptée plus haut.
De plus, pour le tribunal, le fait que l'internaute n'ait pas vendu ou échangé les copies
réalisées confirme que les copies étaient réalisées pour son usage privé. Il semble donc
que ce soit le critère de l'usage commercial qui ait ici été retenu. Là encore,
l'interprétation est difficilement compatible avec la lettre de la loi. Certes, on l'a dit,
l'usage privé est incompatible avec l'usage commercial de la copie. Mais il ne faut pas
en déduire qu'en l'absence d'usage commercial, l'utilisation est nécessairement
privée. En effet, « dès lors que l'usage n'est plus personnel, sa finalité ne doit pas être
prise en compte. Spécialement, il est indifférent que la reproduction n'ait pas été faite
dans un but lucratif. Que le copiste n'ait tiré aucun bénéfice d'un usage public n'en fait
pas moins un contrefacteur »93.

67. Cette prise de position du Tribunal de Rodez et de la Cour d'appel de Montpellier
sur la notion de copie privée, qui on l'a vu n'est pas isolée, associée au mouvement de
contestation du principe d'interprétation stricte des exceptions peut être analysée
comme le révélateur d'une trop grande rigueur de la loi française. Il serait sans doute
plus légitime de considérer que l'exception de copie privée s'applique à tout usage
privé de la copie, que cet usage soit le fait du copiste lui-même ou non. C'est d'ailleurs
l'approche retenue par la directive du 22 mai 2001 et on peut donc regretter que le
projet de loi de transposition n'ait pas retenu cette nouvelle définition qui viendrait
sans doute renforcer la légitimité d'une exception moins strictement conçue.
IV. L'application du triple test



92 V.supra.
93 A. et H.-J. Lucas, op. cit, n° 303.
37

68. Les autorités nationales ne peuvent adopter de limitations ou exceptions au droit de
reproduction qu'à la condition de passer le test des trois étapes (triple test) connu de la
Convention de Berne94, repris par les accords ADPIC95, les Traités de l'OMPI de 1996
sur le droit d'auteur96 et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes97 et
récemment consacré par la fameuse directive communautaire du 22 mai 2001 sur la
« société de l'information »98. En application de cette règle, une exception n'est
admise que « dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation
normale de l'oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux
intérêts légitimes du titulaire du droit »99. Nombreux sont ceux qui estiment que
certaines applications de l'exception pour copie privée ne répondent pas aux exigences
de ce fameux triple test100. Précisément, on peut légitimement en douter pour les
téléchargements réalisés par les internautes grâce au peer-to-peer101.

69. Cette question est essentielle puisque le juge peut utiliser ce triple test pour écarter
l'application de l'exception pour copie privée invoquée par l'utilisateur s'il constate
que sa mise en oeuvre a un effet préjudiciable aux intérêts de l'auteur et des titulaires
de droits voisins. Avec la directive du 22 mai 2001, le test des trois étapes devient un
test conditionnant l'application des exceptions légales existantes. On peut s'en

94 Art. 9-2.
95 Art.13.
96 Art.10.
97 Art.16-2.
98 Art.5-5.
99 Dir. 22 mai 2001, art. 5.5. Le législateur communautaire s'est largement inspiré de l'article 9-2 de la
Convention de Berne selon lequel la faculté de copier « est subordonnée aux conditions cumulatives
suivante : il doit s'agir de cas spéciaux et la reproduction autorisée ne peut porter atteinte à
l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur ».
L'article 13 de l'accord sur les ADPIC avait généralisé cette règle à tous les droits reconnus au titre du
droit d'auteur par l'accord ADPIC et la Convention de Berne. Les traités OMPI ont élargis la règle aux
droits voisins sur les phonogrammes et la direction communautaire du 22 mai 2001à l'ensemble des
droits d'auteurs et des droits voisins.
100 En ce sens, J. Ginsburg et Y. Gaubiac, L'avenir de la copie privée numérique en Europe : Comm.
com. électr. 2000 chron. 1. ­ C. Caron, Les clairs-obscurs de la rémunération pour copie privée : D.
2001, chron. p. 3421. ­ C. Caron, Les exceptions : l'impact sur le droit français : Propriétés
intellectuelles 2002, n° 2, p. 25, n°3. ­ A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 315.
101 En ce sens, P. Sirinelli : Propr. intell., juillet 2004, p. 782. ­ C. Caron, note sous TGI Paris, 30 avr.
2004 : Comm. com. électr. 2004, comm. 85.
38

inquiéter ou regretter cette menace sur le système des exceptions102. Reste que ce test
d'origine communautaire et internationale s'impose aux juges nationaux, même si
l'article L. 122-5 CPI n'a pas encore été remanié103. En effet, il convient de rappeler
que la directive communautaire du 22 mai 2001 non transposée en droit français a un
effet « horizontal » qui implique que dans les rapports entre particuliers, la juridiction
nationale est « tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures
comme postérieures à la directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à
la lumière du texte et de la finalité de cette directive »104. Nos juges ont d'ailleurs déjà
eu l'occasion de se référer au « filtre »105 du triple test106.

70. Il nous faut donc vérifier, dans cette étude, que l'application de l'exception pour
copie privée aux téléchargements réalisés par des utilisateurs de logiciels peer-to-peer
ne contrevient pas au triple test, c'est-à-dire :
- qu'il s'agit bien d'un cas spécial
- qui ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre et des objets protégés
- et qui ne cause pas de préjudice injustifié aux auteurs et titulaires de droits voisins.


102 En ce sens, M. Buydens, S. Dusollier, Les exceptions au droit d'auteur dans l'environnement
numérique : évolutions dangereuses : Comm.com. électr. 2001, chron. 22. Monsieur Sirinelli relève
qu'il devient loisible au juge « de vider un texte existant de son contenu. La solution est logique mais
il faut admettre que les dispositions législatives sont désormais en « trompe l'oeil ». On mesure alors
que pour orthodoxe qu'elle soit cette solution constitue un risque pour la sécurité juridique. Il convient
d'ores et déjà d'expliquer à certains utilisateurs que l'acte qu'ils sont susceptibles d'accomplir en toute
bonne foi, en contemplation du Code de la propriété intellectuelle, peut être regardé comme
contrefaisant » (P. Sirinelli, in Les droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information,
Actes du Colloque organisé par la Commission française pour l'UNESCO, 28-29 nov. 2003, BNF,
Paris, p. 19).
103 Le législateur français envisage clairement de faire du test des trois étapes un « filtre judiciaire »
(expression de C. Caron, Les exceptions : Propriétés intellectuelles 2002, n° 2, p. 26 ) en ajoutant à
l'article L. 122-5 CPI l'alinéa suivant : « les exceptions énumérées aux alinéas précédents ne peuvent
porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes de l'auteur ». Une disposition similaire sera introduite pour les droits voisins à l'article L.
213-3 CPI.
104 CJCE, 14 juillet 1994, Paola Faccini Dori, aff. 91/92
105 Expression de C. Caron, Les exceptions : Propriétés intellectuelles 2002, n° 2, p. 26
106 À propos de mesures techniques de protection qui empêchaient la copie privée des DVD : TGI
Paris, 30 avr. 2004, S. Perquin et association UFC-Que Choisir C/ SA Les Films Alain Sarde et
autres : Légipresse n°214, sept. 2004, III, p. 148, comm. M. Vivant et G. Vercken. Voir aussi en appel,
CA Paris 22 avr. 2005 : www.juriscom.net.
39

71. Le problème posé par l'application du triple test réside dans l'interprétation des
différentes conditions. Comment les définir ? On peut difficilement tirer des
enseignements de l'affaire « Mulholland Drive ». En effet, la décision du Tribunal de
grande instance de Paris du 30 avril 2004 ne nous offre qu'« une motivation en forme
d'évidence »107 :
« Attendu (...) que l'exploitation commerciale d'un film sous forme d'un DVD
constitue un mode d'exploitation de nombreuses oeuvres audiovisuelles si bien qu'il
n'est pas contestable que de mode fait partie d'une exploitation normale de telles
oeuvres ; Attendu que la copie d'une oeuvre filmographique éditée sur support
numérique ne peut ainsi que porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ;
attendu que cette atteinte sera nécessairement grave ­ au sens des critères retenus par
la Convention de Berne- car elle affectera un mode d'exploitation essentielle de ladite
oeuvre, indispensable à l'amortissement de ses coûts de production »108. La décision
rendue en appel, dans cette affaire, n'est guère plus éclairante. Les juges ne font
qu'infirmer le jugement en énonçant qu'« il n'est expliqué en quoi l'existence d'une
copie privée (...) caractérise l'atteinte illégitime » et « qu'il n'est pas davantage
démontré que l'exception de copie privée aurait été, en l'espèce, à l'origine d'une
préjudice injustifié causé aux intérêts légitimes des titulaires de droits ».

72. On peut en revanche se référer utilement au rapport d'un groupe spécial (« Panel »)
de l'Organisation Mondiale du Commerce du 15 juin 2000 qui pour la première fois
interprète la règle du triple test109. L'organe de règlement des différents de l'OMC
définit les trois critères cumulatifs du test de l'article 13 de l'ADPIC pour les appliquer
aux exceptions contenues dans la loi américaine. L'analyse fouillée contenue dans ce
rapport et les commentaires de la doctrine nous guideront pour vérifier que l'exception

107 M. Vivant et G. Vercken, commentaire précité, p. 153.
108 Italiques ajoutées.
109 GPE spécial OMC, 15 juin 2000 : Rapport adopté par l'Organe de règlement des différends, 31
juillet 2000 : Grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2003, n° 13, com. Clément Fontaine ;
RTD com. 2001, p. 440, obs. A. Françon. ­ V. également, Y. Gaubiac, Les exceptions au droit
d'auteur : un nouvel avenir : Comm. com. électr. 2001, chron. 15. ­ A. Lucas, Le « triple test » de
l'Accord ADPIC à la lumière du Rapport du groupe spécial de l'OMC : Mélanges Dietz, Verlag Beck,
p. 423. ­ G. Ginsburg, Vers un droit d'auteur supranational ? La décision du groupe spécial de l'OMC
et les trois conditions cumulatives que doivent remplir les exceptions au droit d'auteur : RIDA 1/2001,
p. 2.
40

de copie privée appliquée aux actes de téléchargements via peer-to-peer répond bien à
ce triple test.


A. Certains cas spéciaux


73. La première condition pour évaluer la légitimité des exceptions ou limitations au
droit d'auteur et aux droits voisins est qu'il ne s'agisse que de « cas spéciaux ». Selon
le groupe spécial, le mot « certains » implique une définition claire de l'exception et
l'expression « cas spéciaux » signifie que l'exception doit être de portée restreinte. Il
n'est toutefois « pas nécessaire d'identifier explicitement chacune des situations
éventuelles auxquelles l'exception pourrait s'appliquer, pour autant que la portée soit
connue et particularisée ». Le Panel de l'OMC a en revanche refusé de considérer que
l'exception devait avoir un « but spécial ». Il estime qu'« il n'est pas nécessaire
d'identifier explicitement chacune des situations éventuelles auxquelles l'exception
pourrait s'appliquer, pour autant que la portée de l'exception soit connue et
particularisée ». Il se refuse également à porter un « jugement de valeur sur la
légitimité d'une exception ou limitation », en relevant toutefois « que les buts de
politique générale publique déclarés pourraient présenter un intérêt subsidiaire pour
tirer des conclusions quant à la portée d'une exception et à la clarté de sa définition ».
On peut comprendre cette position du groupe spécial. Comme le relève Madame
Ginsburg110, « en l'absence de document ou d'un débat sur le choix du terme
« spécial », il n'est pas évident que les rédacteurs entendaient inclure dans la première
condition une justification de politique générale ». On relèvera toutefois, avec
Monsieur Lucas111, un argument textuel contraire : l'observation d'un groupe d'étude,
composé de représentants du gouvernement suédois et des Bureaux internationaux
réunis pour la protection de la propriété intellectuelle (BIRPI), constitué pour la
préparation de la Conférence de révision de Stockholm de 1967, et cité par le rapport

110 Vers un droit d'auteur supranational ?, préc., p. 38.
111 A. Lucas, Le « triple test » de l'Accord ADPIC à la lumière du Rapport du groupe spécial de
l'OMC, préc.
41

du Panel112, a suggéré d'autoriser les pays à limiter le droit de reproduction « à des fins
nettement définies ».
Au-delà de cette remarque, on peut penser que « le seul fait d'enfermer une exception
dans des limites quantitatives ne suffit pas à en faire un « cas spécial », sinon la règle
pourrait être tournée avec une grande facilité »113. De plus, en s'intéressant à l'aspect
quantitatif des cas, le Panel de l'OMC empiète déjà sur la deuxième condition de
l'absence d'atteinte à l'exploitation normale114. Nous pensons avec d'autres que la
première condition du triple test implique que l'exception soit justifiée par une
« raison claire de politique générale ou une autre circonstance exceptionnelle »115. La
justification peut être la liberté d'expression, l'information du public, l'enseignement
et la recherche116.

74. Cette première condition est finalement assez peu contraignante. L'exception pour
copie privée, prévue par les articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI, répond selon nous à
cette exigence. Sont exclues les exemptions généralisées et non une exception pour
usage privé117. La loi définit l'exception pour copie privée de manière claire et en des
termes relativement précis118. Cette limitation au droit exclusif ne concerne qu'une
catégorie restreinte et clairement définie d'utilisateurs (copistes qui réalisent des
reproductions pour leur usage privé). Le fait que la copie privée soit devenue, à bien

112 § 6.179.
113 Ibid.
114 En ce sens, M. Senftleben, Copyright, Limitations and the Three-Step Test, An Analysis of the
Tree-Step Test in International and EC Copyright Law, Kluwer Law international, 2004, p. 144
115 S. Ricketson, The Berne Convention for the Protection Literary and Artistic Works : 1886-1986,
Londres, Queen Mary College, Kluwer, 1987, p. 482. ­ Dans le même sens, M. Ficsor, How Much of
What ?, The Three-Step Test and Its Application in Two Recent WTO Dispute Settlement Cases :
RIDA 2/2002, p. 133. ­ J. Reinbothe et S. von Lewinski, The WIPO Treaties 1996 ­ The WIPO
Copyright Treaty and the WIPO Performances and Phonograms Treaty ­ Comentary and Legal
Analysis, Butterworths, 2002, p. 124. - M. Senftleben, op. cit., p. 152.
116 En ce sens, J. Reinbothe et S. von Lewinski, op. cit., p. 124. ­ M. Ficsor, op.cit., p. 133. ­ M.
Ficsor, The Law of Copyright and the Internet ­ The 1996 WIPO Treaties, their Interprétation and
Implementation, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 284 et 516. P.-Y Gautier, De la
transposition des exceptions : à propos de la directive « droit d'auteur dans la société de
l'information » : Comm. com. électr. 2001, chron. 25, n°19 (Selon Monsieur Gautier, pour que
l'exception soit admise, il faut donc qu'elle est une cause « légitime, ce qu'il appartiendra à ceux qui
la posent ou s'en prévalent, de prouver »).
117 En ce sens, A. et H.-J. Lucas, op. cit., n° 296. ­ S. Ricketson, op. cit., p. 485 s.
118 En ce sens, M. Vivant et G. Vercken, préc., p. 152. ­ TGI Paris 30 avr. 2004 préc. (il s'agit « d'une
exception précisément circonscrite et « strictement réservé à un usage particulier », aux droits
exclusifs dont jouissent l'auteur et les titulaires de droits voisins »).
42

des égards, « une norme de comportement généralisée »119 ne suffit pas, selon nous, à
considérer que l'exception ne correspond pas à un « cas spécial » au sens du droit
international conventionnel et du droit communautaire120. En revanche, on peut penser
que dans de nombreuses hypothèses comme le peer-to-peer, la copie privée perturbera
l'exploitation normale de l'oeuvre et/ou causera un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes des titulaires de droits.


B. L'absence d'atteinte à l'exploitation normale


75. La deuxième étape du triple test est la suivante : l'exception ne doit pas porter
atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou de l'objet protégé. Comment définir
l'« exploitation normale » de l'oeuvre ?

76. Selon le groupe spécial de l'OMC, « une exception ou limitation concernant un
droit exclusif qui est prévu dans la législation nationale va jusqu'à porter atteinte à
l'exploitation normale de l'oeuvre si des utilisations qui en principe sont visées par ce
droit mais bénéficient de l'exception ou de la limitation constituent une concurrence
aux moyens économiques par lesquels les détenteurs du droit tirent normalement une
valeur économique de ce droit sur l'oeuvre et les privent de ce fait de gains
commerciaux significatifs ou tangibles »121, compte tenu « des effets réels et potentiels
sur les conditions commerciales et technologiques qui règnent actuellement sur le
marché ou qui y régneront dans un proche avenir »122. Autrement dit, il ne doit pas y
avoir de « risque de parasitisme commercial »123.


119 Expression de C. Caron, commentaire sous TGI Paris, 30 avr. 2004 : Comm. com. électr. 2004,
comm. 85.
120 Contra, C. Caron, comm. préc., p. 26.
121 §6.183.
122 §6.187.
123 P.-Y. Gautier, chron. préc. n°19
43

77. Cette interprétation résolument économique124 a reçu un certain écho de la part de
la doctrine française. Selon Monsieur Caron125, il faut s'attacher à une vision
économique et se poser les questions suivantes : le consommateur va t-il acheter un
nouveau support faute d'avoir pu copier le premier ? La réalisation d'une copie
entraîne t-elle une baisse des ventes des supports ? Transposée au peer-to-peer, cette
approche conduit à se demander si les téléchargements d'oeuvres ne concurrencent pas
la vente de supports et les « offres légales » de téléchargements d'oeuvres, de
phonogrammes ou de vidéogrammes. Il apparaît bien difficile de répondre à cette
question, les études qui ont été menées étant contradictoires. On voit bien toutefois que
cette deuxième condition est beaucoup plus contraignante que la première (certains cas
spéciaux). On peut craindre que son application remette en cause l'exception pour
copie privée. La copie privée numérique en général pourrait apparaître menacée.

78. Une autre interprétation que celle du panel de l'OMC pourrait d'ailleurs être
retenue126. Monsieur Ricketson127 invoque le « bon sens » lequel nous indiquerait que
l'« exploitation normale » vise tout simplement les manières dont on pourrait
raisonnablement penser qu'un auteur exploiterait normalement son oeuvre ». Il précise
ensuite qu'il n'y aurait peut-être aucune atteinte à l'exploitation normale « lorsqu'il
n'y a aucune possibilité réelle que le détenteur du droit puisse faire respecter son droit,
soit en interdisant l'exploitation, soit en obtenant une rémunération par voie de libre
négociation... »128. On peut penser que les téléchargements réalisés via peer-to-peer

124 Pour une critique de cette approche économique du panel OMC, v. A. Lucas, Le triple test de
l'article 13 de l'Accord ADPIC, op. cit. ­ E. Bréart, Parlez-moi de droits intellectuels : Petites affiches
8 août 2001, chron. p. 20.
125 Obs.sous TGI Paris, 30 avril 2004 : Comm.com.électr. 2004, comm. 85.
126 La décision OMC étant pratiquement privée de toute force contraignante (effet seulement à l'égard
des Etats-Unis partie au différend), la portée de l'interprétation donnée est limitée et une autre est donc
possible. En ce sens, E. Bréart, Parlez-moi de droits intellectuels : P. affiches 8 août 2001, chron.
n°28s.
127 International Conventions and Treatiers, in Libby Baulch, Michael Green & Mary Wyburn (eds),
The Boundaries of Copyright, its Proper Limitations and Exceptions 10-11, Journée d'étude de
l'ALAI, Cambridge, 14-17 septembre 1998, 1999.
128 Comme le relève J.C. Ginsburg (op. cit., p. 42 et 44), cela signifierait que l' « exploitation
normale » de l'oeuvre peut changer avec l'évolution de la technique. Autrement dit, l'exploitation
normale de l'oeuvre peut dépend de l'évolution de techniques. Des utilisations dont le contrôle
implique des coûts trop élevés pourraient faire l'objet demain de systèmes de licences contractuelles
efficaces, auquel cas elles rentraient dans le cadre des exploitations normales.
44

répondent à la deuxième condition du triple test ainsi interprétée. En effet, les auteurs
et les titulaires de droits voisins ne peuvent en pratique contrôler les pratiques de
téléchargements réalisés sur les réseaux de peer-to-peer. Ils ne peuvent ni interdire ni
obtenir une rémunération en ayant recours à une gestion individuelle des droits c'est-à-
dire en contractant avec les internautes. Monsieur Ricketson129, souligne que dans ce
cas, une exception pour l'utilisation de l'oeuvre se « heurterait manifestement au
troisième critère ...» et devrait donc être assortie d'une licence obligatoire ». C'est
précisément cette troisième condition qu'il nous faut maintenant appliquer aux
téléchargements.


C. L'absence de préjudice injustifié


79. Dernière condition du triple test : l'exception peut être admise si son application ne
porte pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. Le seuil
injustifié est atteint, selon le Panel de l'OMC, « si une exception ou limitation
engendrait ou risquait d'engendrer un manque à gagner injustifié pour le titulaire du
droit d'auteur »130 (sont prises en compte les pertes réelles mais aussi le manque à
gagner potentiel131). Le groupe spécial de l'OMC ajoute que le préjudice pourrait être
ramené à un niveau tolérable si la loi prévoyait au moins une rémunération : « dans le
cas où il y aurait un manque à gagner pour l'auteur, la loi devrait lui attribuer une
compensation (système de licence obligatoire avec rémunération) »132.

80. Il implique donc un contrôle de proportionnalité. À cet égard, nous pensons avec
Monsieur Gaubiac et Madame Ginsburg133 que ce « préjudice injustifié » aux intérêts
des auteurs doit s'apprécier par rapports aux « alternatives à l'exception ».

129 International Conventions and Treatiers, op.cit.
130 § 6.229.
131 § 6.247 et § 6.261.
132 § 6.229.
133 Y. Gaubiac et J. C. Ginsburg, L'avenir de la copie privée numérique en Europe : Comm. com.
électr. 2000, chron. 1.
45

S'il n'y a pas de moyen d'appliquer le droit d'auteur aux copies « privées » sans coûts
démesurés et sans empiéter sur la vie privée, une exception pour copie privée assortie
d'une compensation équitable est justifiée. En revanche, si les obstacles à une mise en
oeuvre efficace du droit de reproduction venaient à disparaître, les « intérêts légitimes »
des auteurs seraient de nouveau en cause, et le préjudice ne serait plus justifié.

81. En matière de peer-to-peer, il n'est pas contestable qu'il y ait un manque à gagner
préjudiciable aux intérêts légitimes des auteurs et des titulaires de droits voisins134.
Reste qu'il apparaît en pratique impossible pour ces derniers de contrôler et de faire
respecter leurs droits. L'application du système de rémunération pour copie privée est
alors tout à fait envisageable à condition toutefois qu'il compense effectivement le
manque à gagner, sinon le préjudice reste injustifié.
Se pose donc en définitive la question de la rémunération (compensation équitable), de
son calcul et de sa répartition.


V. La rémunération


82. Le système de rémunération pour copie privée est organisé par l'article L. 311-1
CPI. Les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs ont droit à une rémunération
au titre de la copie privée des phonogrammes et de vidéogrammes. Les auteurs et
éditeurs ont également droit à une rémunération pour les copies privées d'oeuvres sur
support d'enregistrement numérique. L'article 311-4 CPI précise que cette
rémunération est versée par le fabricant ou l'importateur de «
supports
d'enregistrements » utilisables pour la copie privée. Enfin, l'article L. 311-5 énonce

134 En ce sens, J. C. Ginsburg (op. cit. p. 54 et 56), « les auteurs ont indéniablement un « intérêt
légitime » à restreindre la copie privée, et ce surtout dans l'environnement numérique qui est
particulièrement propice à la multiplication massive des copies « privées ». En effet, une exception en
faveur de la confection généralisée de reproductions « privées » du type que l'on partage avec d'autres
risquerait fortement de porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre (en supposant qu'il soit
possible de faire respecter le droit d'auteur dans une telle situation) ».
46

que les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de
celle-ci sont déterminés par une commission administrative.

83. Quatre questions ici : Quels bénéficiaires ? Quels débiteurs ? Quelle assiette pour
la rémunération ? Et selon quelle répartition ?

84. La première question ne pose à vrai dire guère de difficulté. Les auteurs, les artistes
et les producteurs sont concernés par ces téléchargements et seraient donc logiquement
les bénéficiaires de la rémunération envisagée au titre de la copie privée.

85. S'il est légitime que la rémunération pour copie privée soit payée par les
« utilisateurs », autrement dit par ceux qui téléchargent les oeuvres, en pratique, il est
difficile d'envisager le paiement direct d'une redevance par les internautes. En effet, si
les internautes devaient verser une certaine somme directement aux sociétés de
perceptions et de répartition des droits (SPRD) représentant les différentes catégories
d'ayants droit, ces sociétés auraient alors sans doute quelques difficultés à identifier
leurs débiteurs et on voit mal comment le système pourrait fonctionner.
Il faut donc sans doute se résoudre à passer ici par un « intermédiaire », qui sera
identifié comme étant le débiteur de la rémunération mais pourra répercuter ce « coût »
sur les internautes.
Dans le cas du peer-to-peer, on pourrait alors songer à confier cette tâche aux
fournisseurs des logiciels qui permettent l'échange d'oeuvres protégées. Après tout,
dans la mesure où ils proposent aux internautes le logiciel qui leur permet ensuite de
réaliser l'acte d'exploitation que l'on cherche ici à rémunérer, la solution peut se
recommander d'une certaine logique. L'intérêt du système est que le fournisseur de
logiciel, contraint de payer ces redevances, les répercuteraient ensuite sur les
internautes qui téléchargent les logiciels de peer-to-peer. Certes, ces logiciels peuvent
être utilisés pour échanger autre chose que des oeuvres protégées mais on sait bien
qu'aujourd'hui ce sont généralement des oeuvres musicales ou audiovisuelles qui sont
ainsi exploitées et on peut difficilement prétendre qu'il ne s'agit que de créations
tombées dans le domaine public. Ainsi, on ferait finalement payer uniquement les
47

internautes « adeptes » du peer-to-peer. La proposition peut sembler séduisante mais il
faut reconnaître qu'elle est sans doute impossible à mettre en oeuvre. On se contentera
ici d'évoquer quelques difficultés. La plupart des fournisseurs de logiciels sont
localisés à l'étranger et il pourrait être plutôt difficile de leur faire payer une
rémunération qu'ils ne devraient en principe répercuter que sur leurs clients français.
Les logiciels sont souvent proposés gratuitement aux internautes, le fournisseur se
rémunérant grâce à la publicité réalisée sur son site, il lui faudrait donc créer un
système de paiement... Comment ferait-on payer les internautes qui ont déjà
téléchargé le logiciel ? Comment assurer la périodicité du paiement une fois le logiciel
téléchargé ? ...

86. Si on ne peut faire payer les fournisseurs de logiciels, il faut alors identifier un
autre débiteur.
Or, s'agissant de faire payer les personnes qui fréquentent les réseaux internet pour
leur permettre, ainsi, de pouvoir télécharger des oeuvres protégées en toute licéité, il
semble que les fournisseurs d'accès, contractuellement liés à leurs abonnées, sont les
« meilleurs » intermédiaires envisageables. Une fois la somme à collecter déterminée,
ils pourraient la percevoir en même temps qu'ils se font rémunérer par leurs abonnés.
Ici, la perception serait assez simple. On peut toutefois s'interroger sur la légitimité de
cette solution. Les fournisseurs d'accès se verraient chargés d'une nouvelle mission :
assurer la rémunération des titulaires de droits d'auteur ou de droits voisins. Cette
situation pourrait susciter la perplexité. Pourtant, elle se rapproche du système qui
fonctionne déjà depuis quelques années en France.

87. En effet, lorsque la rémunération pour copie privée a été créée, on a du se résoudre,
là aussi, à admettre qu'une perception directe auprès des consommateurs était
inenvisageable en pratique. En conséquence, on a prévu que la rémunération serait
versée par « le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions
intracommunautaires (...) de supports d'enregistrement utilisables pour la
reproduction à usage privée d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces
48

supports »135. Autrement dit, ce sont les fabricants et les importateurs de supports
vierges qui sont ici les débiteurs de la rémunération. La justification invoquée est très
simple : ce sont eux qui « fournissent les moyens matériels de copier les oeuvres »136.
L'argumentation, on le voit, peut facilement être transposée au cas du peer-to-peer :
les fournisseurs d'accès donnent aux internautes les moyens techniques de télécharger
des oeuvres protégées donc ils peuvent être considérés comme les débiteurs de la
rémunération due aux ayants droit à ce titre. D'ailleurs, on a déjà souligné que « dans
un tout autre système, il aurait été possible de considérer comme débiteur des
personnes qui ne fabriquent pas des supports, mais permettent, à titre professionnel et
onéreux, la réalisation de copies privées (par exemple les opérateurs de
télécommunication ou certains intermédiaires techniques de l'internet) »137. Mais
évidemment, et il faut insister sur ce point, les fournisseurs d'accès constitueraient des
« débiteurs intermédiaires », qui répercuteraient le montant des redevances dues aux
ayants droits sur leurs abonnés, les internautes étant bien les « débiteurs initiaux »138.
Le système a l'avantage de la simplicité, mais on peut aussi lui reprocher sa généralité.
En effet, cela revient à faire payer tous les internautes, y compris ceux qui ne
téléchargent jamais d'oeuvres protégées. La critique n'est pas nouvelle s'agissant de la
rémunération pour copie privée. En effet, le consommateur qui achète un support
vierge s'acquitte lui aussi de la rémunération pour copie privée, qu'il utilise ce support
pour fixer une oeuvre protégée ou non.
D'autre part, on peut se demander comment le système pourrait s'appliquer aux
fournisseurs d'accès qui proposent un accès gratuit à Internet à leurs abonnés. On sait
que ces fournisseurs se rémunèrent grâce à la publicité mais on peut difficilement
envisager de répercuter la redevance sur les annonceurs dans la mesure où ce ne sont
pas les annonceurs qui pratiquent le peer-to-peer mais bien les internautes.

88. Par ailleurs, l'application de l'exception pour copie privée aux téléchargements
réalisés impliquerait d'étendre la rémunération pour copie privée afin de compenser le

135 CPI, art. L 311-4.
136 C. Caron, Rémunération pour copie privée : J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1510, n° 29.
137 Ibid.
138 Distinction entre débiteurs intermédiaires et initiaux, adoptée par M. Caron à propos de la
rémunération pour copie privée (op.cit., J.-Cl., n°29 et 33).
49

préjudice subi en France en raison des actes de téléchargements. Celle-ci ne concerne
actuellement que les supports vierges.

89. Sur ce point, on peut envisager un mécanisme de prélèvement de la rémunération
auprès des fournisseurs d'accès à Internet. Cette solution apparaît logique.
L'augmentation significative des abonnements à l'accès à Internet s'explique
principalement par les téléchargements d'oeuvres139. Les fournisseurs d'accès l'ont
d'ailleurs bien compris en choisissant d'invoquer comme argument publicitaire cette
possibilité de télécharger des oeuvres, sans distinguer vraiment entre les pratiques
illégales via peer-to-peer et les offres légales.

90. Il faudra certainement convaincre les utilisateurs que l'augmentation de leur
abonnement Internet correspond non pas à une taxe mais bien à la rémunération pour
copie privée destinée à compenser le préjudice subi par les auteurs et titulaires de
droits voisins140. Il conviendra de rappeler que la rémunération pour copie privée a un
objectif « d'ordre mutualiste : tout le monde paye (entreprises, contrefacteurs,
personnes qui copies leurs propres oeuvres ou des données non protégées, voire des
oeuvres tombées dans le domaine public, etc.) pour les copies privées licites que
certains vont pouvoir réaliser »141.

91. Cette solution nécessiterait surtout une révision des articles L. 311-4 et L. 311-5 du
CPI qui ne font référence qu'à un prélèvement sur le prix des « supports
d'enregistrement », y compris les supports numériques (CDR, DVD-R, baladeurs
MP3, ...) depuis la décision du 4 janvier 2001 de la commission administrative de

139 V. CNC, La piraterie de films : motivation et pratique des internautes. Analyse qualitative, Service
des études, des statistiques et de la prospective, mai 2004, spéc. p. 52 (études disponibles sur le site
www.cnc.fr )
140 La tâche risque d'être difficile. L'étude précitée du CNC (La piraterie de films, p. 52 et 53) révèle
en effet que les internautes « comprennent mal que la copie soit interdite quand les supports vierges
sont légalement mis en vente et taxés. De même, ils ne comprennent pas que la taxe sur les supports
vierges est une redevance pour copie privée, et non une taxe sur le produit ». Enfin, « une partie des
Internautes estiment « payer » les téléchargements de films dans le cadre de leur abonnement à
Internet. Ils considèrent que le prix élevé de leur connexion à haut débit justifie largement de pouvoir
télécharger».
141 C. Caron, note sous TGI Paris 30 avr. 2004 : Comm. com. électr., com. 85.
50

l'article L. 311-5 CPI. On peut relever que la commission n'a en revanche pas prévu
de soumettre à cette redevance les disques durs d'ordinateurs. On pourrait pourtant
imaginer, pour le peer-to-peer, un système de rémunération appliqué à ces disques
durs : c'est en effet le disque dur qui permet de stocker les fichiers audio et vidéo
téléchargés. Mais on comprend bien l'intérêt économique, pour les titulaires de droits,
de la mise en place d'un système de prélèvement de rémunération régulier auprès des
fournisseurs d'accès. C'est peut-être là d'ailleurs le seul moyen de répondre à la
condition d'absence de préjudice injustifié posée par le triple test142.

92. Reste que cette solution, si elle était adoptée, rendrait peut-être difficile l'extension
de la rémunération pour copie privée aux disques durs d'ordinateur qui a été un temps
envisagée. Pourrait-on encore défendre la légitimité du droit d'auteur et des droits
voisins face à une superposition des prélèvements au titre de la rémunération pour
copie (1.- CDR ou DVDR., 2. ­ abonnement accès à Internet, 3. ­ disque dur) ?

93. La répartition pose des difficultés essentiellement pratiques. Le système mis en
place par le Code de la propriété intellectuelle prévoit en matière musicale de verser
50% aux auteurs, un quart aux artistes-interprètes et un quart aux producteurs. Pour
les copies privées de vidéogrammes, la répartition est en revanche égalitaire (1/3 pour
chacune des trois catégories de titulaires). Enfin, elle est aussi égalitaire entre l'auteur
et l'éditeur pour les copies privées des autres oeuvres. Ces modalités semblent
transposables aux téléchargements réalisés via peer-to-peer.

94. Se pose ensuite la question de la part respective des oeuvres. Difficile de savoir
dans le cadre du peer-to-peer, quelle chanson, quel film, quel texte a été téléchargé et
combien de fois. Et même si on parvient à identifier les oeuvres téléchargées, on ne
peut sans doute pas se fier au nombre de téléchargement effectués pour procéder à la
répartition de la rémunération. En effet, comme l'a souligné Monsieur Fisher143, on

142 V. infra.
143An alternative compensation system for the entertainment industry
:
http://cyber.law.harvard.edu/people/tfisher/PTKChapter6.pdf, 2004
51

risque d'être confronté à de véritables fraudes144 et de plus, on ne peut jamais savoir si
une oeuvre téléchargée est réellement visionnée ou écoutée145. Il conviendra
certainement d'avoir recours au sondage, technique connue des sociétés de gestion
collective qui permet d'établir des statistiques à peu près fiables146.

95. L'exception de copie privée apparaît applicable aux actes de téléchargements
d'oeuvres à l'exception des logiciels et des bases de données et à la condition que le
téléchargement soit strictement réservé à l'usage privé du copiste et non destiné à une
utilisation collective. C'est précisément cette dernière restriction qui pose le plus de
problèmes. En téléchargeant, l'utilisateur reproduit également au profit de celui qui
viendra copier à son tour. Le téléchargement qui s'accompagne systématiquement
d'une mise à disposition de la copie ne peut donc être considéré comme une copie
privée au sens du droit français.

96. Pour conclure, certains points peuvent constituer un obstacle à l'application de
l'exception de copie privée dans l'hypothèse du téléchargement :
- La licéité de la source. Si une partie de la doctrine semble considérer qu'il s'agit
bien d'une condition d'application de l'exception pour copie privée, la question
reste néanmoins largement discutée.
- La notion d'usage privé. L'étude révèle la conception beaucoup trop restrictive
retenue en droit français. En effet, lorsque l'oeuvre téléchargée est mise à
disposition, la copie n'est plus réalisée pour l'usage privé du copiste.



144 On peut imaginer la mise en place de système organisant le téléchargement automatique et en
continue des oeuvres d'un artiste juste pour lui permettre d'augmenter la rémunération perçue à ce
titre.
145 M. Fisher (op.cit., p. 39) évoque une étude particulièrement intéressante sur ce point : « Of
approximately 8000 MP3 recordings downloaded through the system by students at oberlin College
during a two-month period in 1999, more than 15% were listened to only once, more than 50% were
listened to less than once (meaning that the downloader began playing the sog but concluded, even
before it was finished, that she didn `t like it), and more than 10% were never listened to at all ».
146 En ce sens, M. Fisher (op.cit) propose un système consistant à choisir des internautes représentatifs,
dont l'attitude serait observée, analysée, ce qui permettrait d'en déduire une tendance générale. La
difficulté ici est que cette solution repose sur le volontariat des internautes en question.
52













Chapitre 2.
La gestion collective obligatoire
du droit de représentation pour la mise à disposition
























53

97. La mise à disposition s'analyse comme un acte de représentation ou de
communication au public. Elle est donc soumise à ce titre à l'autorisation des auteurs
et titulaires de droits voisins. À ce propos, il faut immédiatement écarter un argument
parfois invoqué pour faire échapper la mise à disposition à l'autorisation des ayants
droit. On prétend en effet que la transmission partielle ou fractionnée d'une oeuvre ne
constitue pas un acte de communication au public. Or, il y a communication au public
dès que la personne met à disposition les oeuvres protégées, sur la partie ouverte de son
disque dur. Peu importe que seulement quelques octets soient effectivement transmis
ou encore que le fichier soit « coupé » et transmis en « paquets » qui prendront
plusieurs routes à travers la « toile » de la communauté peer-to-peer, puis seront reçus,
remis en ordre et déchiffrés par le poste auteur du téléchargement. Le seul fait de
mettre les oeuvres à la disposition du public suffit à réaliser cette communication au
public et peu importe ensuite son étendue ou sa forme. Le « fractionnement de
fichier » apparaît donc ici sans conséquences.
On est donc bien face à un acte de représentation et il nous faut déterminer par quels
« mécanismes » on pourrait s'assurer de l'autorisation des ayants droits.

98. Évidemment, dans la logique individualiste du droit français de la propriété
littéraire et artistique, on voudrait privilégier la gestion individuelle des droits en
considérant que chaque auteur, chaque interprète et chaque producteur doit consentir
personnellement à l'exploitation de sa création ou prestation. La seule formulation de
cette solution suffit à démontrer qu'elle est inapplicable au cas du peer-to-peer. La
multiplication des actes d'exploitation est ici incompatible avec une gestion
individuelle des droits. Dans ce contexte, « régulièrement, d'aucuns émettent l'idée
que si les droits exclusifs en jeu ne peuvent être exercés de la façon traditionnelle par
les intéressés eux-mêmes, ils devraient être abolis ou ramenés à un simple droit à
rémunération »147. Le système envisagé en l'espèce ne tend pas à remplacer le droit
exclusif par un droit à rémunération mais plutôt à proposer une solution permettant
aux internautes de mettre les oeuvres à disposition de leurs pairs avec l'autorisation des
ayants droit.

147 M. Ficsor, La gestion collective du droit d'auteur et des droits connexes, op. cit., n° 20.
54

99. La première solution envisageable consisterait à mettre en place une licence légale.
Celle-ci devrait évidemment concerner le droit d'auteur comme les droits voisins et
s'appliquer indifféremment à toutes les catégories d'oeuvres. Il faut toutefois constater
immédiatement que cette « option » est difficilement compatible avec les engagements
internationaux de la France.

100. Selon les articles 9 et 11 de la Convention de Berne, les auteurs doivent jouir
des droits exclusifs de reproduction et de représentation. En l'espèce, il s'agirait donc
ni plus ni moins de priver les créateurs de ces prérogatives. Or, l'article 13 de ce même
texte donne la possibilité aux « pays de l'Union » d' « établir des réserves et
conditions relatives au droit exclusif de l'auteur d'une oeuvre musicale et de l'auteur
des paroles dont l'enregistrement avec l'oeuvre musicale a déjà été autorisé par ce
dernier ». Cette possibilité est subordonnée à la condition que ces réserves et
conditions ne portent pas « atteinte au droit qui appartient à l'auteur d'obtenir une
rémunération équitable, fixée à défaut d'accord amiable, par l'autorité compétente ».
De plus, l'effet de la réserve ou condition sera « strictement limité » au pays qui l'aura
établie. On pourrait donc envisager la mise en place d'une licence légale permettant la
mise à disposition des oeuvres musicales mais à la condition expresse qu'une
rémunération soit perçue en contrepartie. De plus, cette solution ne pourrait pas
s'appliquer, par exemple, aux oeuvres audiovisuelles, aucune possibilité d'établir des
« réserves et conditions » n'étant prévue par la Convention dans ce cas de figure148. Ce
simple constat suffit donc à rejeter la possibilité de recourir à la licence légale dans
l'hypothèse qui nous intéresse. Dans le même sens, on ajoutera, pour rester sur le
terrain du droit d'auteur, que le Traité OMPI du 20 décembre 1996, prévoit dans son
article 1-4) que « les Parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et
à l'annexe de la Convention de Berne ».

101. Enfin, s'il en est encore besoin, on peut ajouter que la situation n'est pas
différente s'agissant des droits voisins. La règle fixée par l'article 15-2 Convention de

148 V., aboutissant à la même conclusion : T. Fisher, An alternative compensation system for the
entertainment industry : http://cyber.law.harvard.edu/people/tfisher/PTKChapter6.pdf.
55

Rome est assez simple : « des licences obligatoires ne peuvent être instituées que dans
la mesure où elles sont compatibles avec les disposition de la présente Convention ».
Or, cette Convention permet de recourir à une licence légale dans trois cas de figure
bien délimités qui ne couvrent pas l'hypothèse du peer-to-peer149 et on s'accorde à
considérer qu' « en dehors de ces cas, aucune autre licence obligatoire ne peut être
justifiée en vertu de l'article 15-2) »150.

102. Puisque le recours à la licence légale n'apparaît pas envisageable, on peut alors
envisager une autre possibilité : la gestion collective obligatoire du droit de
représentation et de communication au public.

103. Une précision liminaire s'impose sur ce point. Dans le système proposé par
l'ADAMI et la SPEDIDAM, la gestion collective obligatoire ne peut concerner que le
droit de représentation sollicité lors de la mise à disposition des oeuvres. Le
téléchargement étant en effet conçu comme un acte de copie privée (on a vu dans quels
cas cette solution pouvait être retenue), il reste à autoriser la mise à disposition,
autorisation qui pourrait donc être délivrée par une SPRD.

104. Toutefois, il peut être intéressant de se demander si on ne peut pas imposer la
gestion collective du droit de reproduction comme du droit de représentation.
Autrement dit, une SPRD autoriserait aussi bien le téléchargement que la mise à
disposition et une rémunération serait donc perçue en contrepartie de ces deux actes
d'exploitation. Une telle solution est d'autant plus pertinente que, comme on l'a vu, il
n'est pas certain que toutes les hypothèses de téléchargement constituent un acte de
copie privée au sens que donne aujourd'hui le Code de la propriété intellectuelle à
cette notion.


149 Sont concernés : la radiodiffusion d'interprétations ou d'exécutions (art. 7-2-2), la radiodiffusion de
phonogrammes (art. 12) et la comunication au public de certaines radiodiffusions (art. 13 d).
150 S.Ricketson, Etude de l'OMPI sur les limitations et les exceptions au droit d'auteur et aux droits
connexes dans l'environnement numérique, SCCR/9/7, avr. 2003, p. 50.
56

105. En toute hypothèse, il faut reconnaître que le recours à la gestion collective
obligatoire ne s'inscrit pas dans la « tradition française » du droit de la propriété
littéraire et artistique. Comme cela a déjà été dit : « la France est très respectueuse de
la liberté des auteurs et des titulaires de voisins. Elle considère donc qu'ils doivent
avoir la maîtrise de l'administration de leurs droits et elle répugne à leur imposer une
gestion obligatoire de ces droits par le truchement des sociétés de perception »151.

106. Pourtant, on doit constater que le législateur n'a pas hésité à imposer le recours
à la gestion collective lorsqu'il l'a estimé nécessaire. Dans un premier temps, il a
admis cette solution pour permettre la perception de « simples » droits à
rémunération. Ce système a ainsi été mis en place en matière de copie privée152 et pour
la rémunération équitable due aux interprètes et producteurs de phonogrammes en
application de l'article L 214-1 CPI. Mais un pas important a été franchi lorsque l'on
a instauré la gestion collective obligatoire de certains droits exclusifs, plus précisément
dans l'hypothèse de la reprographie153 et dans un cas particulier de retransmission par
câble154. Ce sont ces deux dernières hypothèses qui vont essentiellement nous
intéresser ici. En effet, face au développement du peer-to-peer, il n'est pas question de
créer un droit à rémunération dont on imposerait ensuite la gestion collective. Il s'agit
au contraire de déterminer s'il est possible d'organiser la gestion collective des droits
exclusifs mis en oeuvre à cette occasion, à savoir le droit de représentation pour la mise
à disposition et éventuellement le droit de reproduction pour le téléchargement,
comme on l'a envisagé précédemment.

107. Il nous faut donc déterminer si la situation née du développement du peer-to-
peer peut justifier la mise en place d'une gestion collective obligatoire des droits de
propriété littéraire et artistique (I) avant de voir dans quelle mesure une telle solution

151 D. Gaudel, Rapport français : Congrès ALAI 1997, Montebello, p.622 (spéc. p. 624).
152 CPI, art. L 311-6.
153 CPI, art. L 122-10 CPI créé par la loi du 3 janvier 1995.
154 CPI, art. L 132-20-1 ( concerne la retransmission « simultanée, intégrale et sans changement »
d'une oeuvre télédiffusée « à partir d'un état membre de la Communauté européenne »), créé par la loi
du 27 mars 1997.
57

serait compatible avec les engagements internationaux de la France (II) et de préciser
quelles seraient les conditions de mise en oeuvre d'une telle forme de gestion (III).


I. La justification du recours à la gestion collective obligatoire


108. La « méfiance » du législateur français à l'égard de la gestion collective
obligatoire apparaît très clairement dans les propos tenus par le député Alain Richard
lors des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 3 juillet 1985 :
« l'institution de mécanismes obligatoires de gestion collective (...) déboucherait sur
un changement de nature du droit d'auteur et sur une remise en cause de l'autonomie
individuelle des gens de création »155. Néanmoins, comme on l'a vu, le législateur n'a
pas hésité à imposer la gestion collective de droits exclusifs dans deux hypothèses. Il
peut donc être intéressant, dans le cadre de cette étude, de rechercher pour quelles
raisons on a finalement retenu un système de gestion collective obligatoire dans ces
deux cas, afin de déterminer si, « les mêmes causes produisant les mêmes effets », ces
arguments peuvent aujourd'hui justifier le recours à ce même mécanisme face au
développement du peer-to-peer.

109. La première hypothèse à envisager ici est celle de la reprographie et le
rapprochement avec le peer-to-peer est alors saisissant. Les propos du ministre de la
culture et de la francophonie de l'époque pourraient en effet sans difficulté être
transposés aujourd'hui à l'hypothèse qui nous préoccupe. Qu'on en juge à travers ces
quelques extraits :
- Le projet de loi « vient compléter un dispositif législatif existant mais qui
n'est pas respecté, alors que des sanctions pénales sont prévues pour
réprimer le « photocopillage ». Ce texte vise tout simplement à faire
disparaître ce délit (...) »156.

155 JOAN CR 28 juin 1984, p. 3823.
156 J. Toubon : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5826.
58

- « La prolifération des photocopies s'explique, bien entendu, par des raisons
techniques et culturelles : simplicité, développement du parc des appareils
de reproduction, plus large diffusion des oeuvres protégées »157.
- « Ses effets négatifs, vous en connaissez tous l'existence : violation de la
nécessité d'obtenir l'autorisation des ayants droit pour l'utilisation collective
de l'oeuvre protégée, grave préjudice causé à des secteurs au surplus
économiquement fragiles, l'édition et la presse »158.
- «
Quant aux responsables, ce sont les utilisateurs, nous tous qui
photocopions, à tour de bras si j'ose dire. Ainsi que l'a relevé Monsieur le
Premier ministre : Qui n'est pas aujourd'hui contrefacteur et justiciable
comme tel des tribunaux correctionnels ?»159.
- On a aussi évoqué « la détestable habitude prise par nos concitoyens de
violer systématiquement la loi »160.
- Et on a souligné que « même les sanctions pénales, pourtant prévues par le
code de la propriété intellectuelle, n'ont pu empêcher la prolifération
illégale des photocopies »161.

110. Le rapporteur de la commission des lois au Sénat, Monsieur Jolibois, faisait
alors le même constat : « le développement extraordinaire de la photocopie a mis en
péril le contrôle des violations du droit d'auteur, tel qui est défini dans la législation
française et a causé ainsi aux auteurs un préjudice financier considérable »162.

111. Le diagnostic est donc très proche de celui que l'on pourrait dresser aujourd'hui
face au développement du peer-to-peer :
- Un dispositif législatif qui n'est pas respecté, ou ne peut l'être qu'en
assignant quelques internautes « pour l'exemple ».

157 Ibid.
158 Ibid.
159 Ibid.
160 J. Toubon : JOAN CR 15 déc. 1994, p. 9225.
161 Ibid.
162 J. Toubon : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5827.
59

- Le développement considérable du peer-to-peer facilité par les progrès
techniques et en l'occurrence par le haut débit.
- La situation des utilisateurs d'internet qui deviennent pratiquement tous des
contrefacteurs.
- Le préjudice important subi par les ayants droits et la chute des ventes de
disques.

112. Sur ce dernier point, on l'a vu en introduction, le lien entre le développement du
peer-to-peer et la forte diminution des ventes de disque est discuté. Il faut alors
préciser que l'on ne peut y trouver un argument pour contester la légitimité du recours
à la gestion collective obligatoire. En effet, en 1994, on a pu discuter de l'impact du
développement de la photocopie sur la vente de livres comme on le fait aujourd'hui
pour le peer-to-peer et la vente de disques163. Cela n'a pas pourtant pas empêché le
vote de la loi.

113. Si le constat dressé à propos du « photocopillage » peut donc être étendu au
peer-to-peer, quel peut alors être le remède ? En 1995, la solution retenue a été celle
de la gestion collective obligatoire du droit de reproduction par reprographie. Là
encore, on peut s'attarder sur les arguments retenus pour justifier ce choix :
- « l'objectif du texte proposé est simple et adapté à cette situation : aider les
utilisateurs (...) à respecter la loi sans déposséder les ayants droit (...) de
leurs droits moraux et patrimoniaux »164 ou encore « mieux assurer le
respect du droit des auteurs en aidant les utilisateurs à ne plus commettre en
permanence des délits de contrefaçon »165.
- Il s'agit donc d'établir « un équilibre entre les intérêts et les droits bien
compris des uns et des autres »166.

163 V. par exemple : J. Cluzel : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5830 (« le développement considérable
des procédures de reprographie s'est accompagné d'un déclin des ventes d'ouvrages ­ je dis
accompagné, je ne dis pas qu'il l'a entraîné, ce qui est différent »).
164 J. Toubon, Ibid., p. 5826.
165 J. Toubon : JOAN CR. 15 déc. 1994, p. 9225.
166 JO Sénat CR 18 nov. 94 p. 5826. V. aussi, dans le même sens, J. Cluzel : JO Sénat CR 18 nov.
1994, p. 5830.
60

- Loin d'être perçue comme une remise en cause des principes fondateurs du
droit d'auteur, la gestion collective obligatoire doit au contraire permettre de
« renforcer et (....) organiser la protection accordée aux auteurs contre les
violations de leurs droits fondamentaux, reconnus d'une manière absolue
depuis 1793 dans le droit français »167.
- « le projet recommande (...) l'un des meilleurs systèmes, à la fois très
efficace et protecteur des droits de l'auteur, tout en prenant en considération
les droits que nous respectons et qui doivent être protégés aussi : ceux de
tous les utilisateurs (...) »168.
- Du point de vue de l' « utilisateur », ce système présente deux avantages :
« d'abord il y a la sécurité juridique puisque tout risque de recours
individuel est écarté. Et puis il y a la simplicité puisque les autorisations
accordées dépendront d'un interlocuteur unique »169.
- Le recours à la gestion collective obligatoire et présenté comme devant
permettre « d'assurer et de renforcer la garantie des principes fondamentaux
des droits des auteurs et d'en assurer la permanence en tenant compte des
évolutions diverses qui ont vu le jour ces dernières années »170.

114. On voit bien, là encore, que ces propos s'appliquent sans peine au peer-to-peer.
À ce sujet, il faut noter que lors du vote de la loi du 3 janvier 1995, on a délibérément
limité les discussions à l'hypothèse de la « copie sur papier », selon l'expression du
ministre de la culture et de la francophonie171, mais tout en soulignant que d'autres
difficultés pourraient apparaître dans l'avenir, notamment face à la « dématérialisation
des supports »172. A ce titre, la loi sur la reprographie est perçue comme « une voie
pour l'avenir » et on affirme même que « les oeuvres pourront être protégées si l'on

167 C. Jolibois, Ibid, p. 5827. Dans le même sens : J. Bignon : JOAN CR 15 déc. 1994, p. 9226 (il
s'agit de « renforcer et de compléter le dispositif législatif existant en organisant la protection
accordée aux auteurs contre la violation de leurs droits »).
168 C.Jolibois, JO Sénat CR 18 nov. 94, p. 5827.
169 M. Schumann, Président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles : JO Sénat
CR 18 nov. 94, p. 5829.
170 I. Renar : JO Sénat CR 18 nov. 94, p. 5831.
171 JOAN CR 15 déc. 1994, p. 9225.
172 Ibid.
61

applique les principes que nous fixons »173. Rien n'interdit donc de considérer que la
gestion collective obligatoire peut être une solution pertinente face aux difficultés
soulevées par le peer-to-peer.

115. S'agissant de la retransmission par câble, l'hypothèse est un peu différente car
le recours à la gestion collective obligatoire était ici imposé par la directive du 27
septembre 1993 et comme cela a été affirmé devant le Sénat, il n'appartenait pas aux
parlementaires français « de juger de l'opportunité des mesures édictées par le
Conseil »174. Il est alors intéressant de relever que ce choix a été largement approuvé
par le législateur, qui semble même préférer ce système à celui de la gestion collective
étendue. Là encore, on peut reprendre les propos tenus par les parlementaires lors des
travaux préparatoires :
- « La directive impose, dans ce cas, la gestion collective obligatoire et nous
approuvons tout à fait cette notion. Le projet de loi écarte implicitement la
solution de la gestion collective étendue, qui est pratiquée essentiellement
dans les pays nordiques et qui est étrangère à nos traditions »175.
- « On peut se féliciter du fait que cette mesure permet de faciliter la tâche des
câblo-opérateurs secondaires tout en assurant une protection efficace des
droits d'auteur et des droits voisins grâce à l'intervention obligatoire des
sociétés de gestion collective »176.
- Le recours à la gestion collective obligatoire est présenté comme « la pierre
angulaire de ce système, et le sérieux allié au professionnalisme de nombre
de sociétés d'auteurs françaises (...) sont un gage d'avenir et
d'équilibre »177.

116. La lecture des travaux parlementaires précédant l'adoption de la loi du 27 mars
1997 pousse donc à établir le même constat que celui dressé après l'examen du texte

173 Ibid, p. 9226.
174 R.-P. Vigouroux : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1011.
175 P. Laffite, Rapporteur de la commission des affaires culturelles : JO Sénat CR 5 mars 1996, p.
1010.
176 R.-P. Vigouroux : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1012.
177 F. Bredin : JOAN CR 10 oct. 1996, p. 5309.
62

relatif à la reprographie : loin d'être hostiles à l'idée d'une gestion collective
obligatoire, les parlementaires français tendent au contraire à y voir une solution
satisfaisante et protectrice des intérêts des auteurs ou des auxiliaires de la création.
Rien n'interdit donc aujourd'hui d'envisager une telle solution face au développement
du peer-to-peer, la situation étant, on l'a vu, très proche de celle qui a conduit au vote
de la loi relative à la reprographie.

117. Finalement la mise en place d'une gestion collective obligatoire apparaît
subordonnée à une condition déterminante : l'impossibilité d'exercer les droits
individuellement. En ce sens, au-delà des propos tenus devant le Parlement et
rapportés ici, on peut invoquer l'article 10 de la directive « câble et satellite » du 27
septembre 1993. Ce texte écarte en effet le recours à la gestion collective obligatoire
lorsque les droits sont « exercés par un organisme de radiodiffusion à l'égard de ses
propres émissions, que les droits en question lui appartiennent ou qu'ils lui aient été
transférés par d'autres titulaires de droits d'auteur et/ou de droits voisins ». Cela
s'explique simplement par le fait que les organismes de radiodiffusion étant
relativement peu nombreux, ils peuvent être facilement identifiés et peuvent gérer eux-
mêmes leurs droits en toute efficacité178.

118. Dans le même sens, lorsque Madame von Lewinski envisage dans quelles
hypothèses la loi hongroise sur le droit d'auteur a choisi d'imposer le recours à la
gestion collective, elle constate que celle-ci « ne paraît enlever à l'auteur aucune
possibilité réaliste d'exercer individuellement (...) les (...) droits exclusifs »179. Et elle
ajoute, en reprenant les termes du préambule à la Convention de Berne : « Etant donné
que la Convention de Berne et les autres traités pertinents visent à protéger les droits
d'auteur « d'une manière aussi efficace et aussi uniforme que possible », ce serait,
semble-t-il, une contradiction interne de considérer que, dans les cas où la gestion
individuelle est à peine concevable, la gestion collective obligatoire restreint indûment

178 En ce sens : P. Douste-Blazy : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1017.
179 S. von Lewinski, La gestion collective obligatoire des droits exclusifs et sa compatibilité avec le
droit international et le droit communautaire du droit d'auteur ­ Etude de cas : Bull. dr. auteur mars
2004.
63

les droits exclusifs accordés comme droits minimaux »180. Madame Gaudel181 a pu
dresser le même constat : « dans certains domaines, l'initiative individuelle est vouée à
l'échec soit que des droits privatifs soient difficiles à identifier et que la rémunération
faisant l'objet de la répartition soit calculée à partir de critères généraux souvent sur
des bases statistiques, soit que la collecte des fonds à répartir soit rendue plus
complexe par la multiplication des bénéficiaires, soit que le contrôle individuel soit
voué à l'échec, soit que le gigantisme de l'exploitation rende toute intervention de
personnes privées problématique ». Enfin, Monsieur Ficsor182 constate que « dans le
cas des droits d'exécution, du droit de reproduction reprographique et du droit de
retransmission simultanée et sans changement de programmes radiodiffusés, la gestion
commune est indispensable à l'exercice des droits exclusifs ». Il souligne alors que
dans ces hypothèses, « il est pratiquement impossible pour les utilisateurs d'identifier à
temps les titulaires de droits, de demander leur autorisation, de négocier leur
rémunération et les autres conditions d'utilisation et de leur verser cette rémunération
sur une base individuelle ». Cette situation est présentée comme étant la conséquence
du « nombre des utilisations », des « conditions dans lesquelles elles ont lieu » et du
« nombre et (de) la diversité des oeuvres utilisées ».

119. Finalement, la gestion collective ne semble pouvoir être imposée qu'en
présence de ce qu'on appelle parfois « des droits par nature collectifs »183, autrement
dit qui ne peuvent pas être gérés individuellement. En effet, dans ce cas, ce mode de
gestion « permet aux auteurs de conserver le principe de leur droit exclusif dans un
domaine d'actes d'exploitation dont le contrôle leur échappe »184.

120. Concernant le peer-to-peer, la situation actuelle laisse à penser qu'une gestion
individuelle des droits est difficile si ce n'est impossible. Il faut d'ailleurs constater
que jusqu'ici, les ayants droit n'ont fait qu'assigner en justice quelques internautes

180 Ibid.
181 Rapport français : Congrès ALAI 1997, Montebello, p.622., spéc. p. 625.
182 La gestion collective du droit d'auteur et des droits connexes, OMPI, 2002, n°341.
183 Sur ce terme, voir E. Deliyanni, Le droit de représentation des auteurs face à la télédiffusion
transfrontalière par satellite et par câble, LGDJ, Bibliothèque de Droit privé, Tome 233, 1993, n° 226.
184 Ibid., n° 229.
64

pour en obtenir la condamnation mais n'ont jamais tenté de faire respecter leurs
prérogatives en leur proposant de s'acquitter du paiement d'une quelconque redevance
en contrepartie des téléchargements ou mises à disposition effectuées. Le droit
d'autoriser et d'interdire n'est en fait plus qu'un droit d'interdire... Sans doute est-il
impossible en pratique de mettre en place une perception des droits auprès de chaque
internaute qui exploite une oeuvre protégée et c'est précisément la raison pour laquelle
la gestion collective obligatoire peut ici être envisagée.

121. Reste alors à déterminer si les engagements internationaux de la France
pourraient faire obstacle à la mise en oeuvre de cette solution.


II. La compatibilité d'une gestion collective obligatoire avec les engagements
internationaux de la France


122. Avant toute chose, il faut préciser un point important. Concernant le peer-to-
peer, nous envisageons ici la possibilité de mettre en place un système de gestion
collective obligatoire qui concernerait aussi bien le droit d'auteur que les droits
voisins. Il nous faut donc logiquement déterminer si une telle solution est compatible
avec les divers traités ou conventions qui lient la France et qui concernent le droit
d'auteur comme les droits voisins. Toutefois, le contenu même des textes relatifs aux
droits voisins nous pousse finalement à ne raisonner que par référence au droit
d'auteur. En effet, une fois rappelé le fait qu'aucun traité ne concerne les droits des
interprètes et producteurs audiovisuels, ce qui permet donc le recours à la gestion
collective obligatoire dans leur cas, reste la Convention de Rome et le Traité OMPI qui
concernent tous deux les droits voisins portant sur les phonogrammes.
Or, ces deux textes, respectivement dans leurs articles 15-2 et 16, ont retenu la même
solution, pratiquement dans les mêmes termes : les états contractants peuvent prévoir,
dans leur législation nationale « des limitations de même nature que celles qui sont
prévues dans cette législation en ce qui concerne la protection du droit d'auteur sur les
65

oeuvres littéraires et artistiques » pour reprendre la formule retenue par la Convention
de Rome. C'est donc bien le droit d'auteur qui sert ici de référence. De plus, en droit
communautaire, la directive du 22 mai 2001 accorde les mêmes droits exclusifs aux
auteurs et titulaires de droits voisins et elle aborde la question de leurs limites et
exceptions dans un article commun à tous les ayants droits. Là encore, la distinction
entre droit d'auteur et droits voisins ne semble donc pas se justifier.

123. Ceci dit, il faut constater que si la doctrine s'est déjà penchée sur la question de
la compatibilité de la gestion collective obligatoire avec les conventions
internationales relatives au droit d'auteur, les positions défendues sont radicalement
différentes.

124. On peut d'abord considérer que les traités internationaux relatifs au droit
d'auteur ne permettent pas la mise en place d'une gestion collective obligatoire des
droits exclusifs. Le raisonnement est ici très clairement exposé par Monsieur Ficsor185.
La Convention de Berne186, comme l'accord ADPIC187 et le traité OMPI relatif au
droit d'auteur188, fixent les conditions de mise en place des licences non volontaires :
elles ne doivent pas porter atteinte au droit de l'auteur d'obtenir une rémunération
équitable.
Or, selon Monsieur Ficsor, le champ d'application des articles 11bis 2 et 13-1 de la
Convention de Berne, qui servent donc ici de référence, ne peut être limité à la seule
licence non volontaire. En effet, ces textes visent « les conditions d'exercice des
droits » et « puisque les possibilités d' « établir des conditions » sont prévues dans la
Convention de façon exhaustive, on peut en déduire a contrario qu'en règle générale,
la gestion collective obligatoire de droits exclusifs ne peut pour ainsi dire être prescrite
que dans des cas analogues à ceux des licences non volontaires (autrement dit pour de

185 La gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins à la croisée des chemins : doit-elle rester
volontaire, peut-elle être étendue ou rendue obligatoire ? : Bull. Dr. auteur oct. 2003.
186 Art. 11 bis 2 et 13-1.
187 Art. 9-1 selon lequel « les membres se conformeront aux articles 1er à 21 de la Convention de
Berne ».
188 Art. 1-4 (« Les Parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l'annexe de la
Convention de Berne »).
66

simples droits à rémunération )»189. Or, dans le cas qui nous intéresse, le peer-to-peer
met en jeu à la fois le droit de reproduction pour le téléchargement (sous réserve de
l'exception de copie privée) et le droit de représentation pour la mise à disposition. Il
s'agit dans les deux cas de droits exclusifs et non de droits à rémunération et en
conséquence, le recours à la gestion collective obligatoire semble exclu.
Certes, on ne peut pas ignorer le fait que les directives communautaires ont parfois
imposé ou autorisé le recours à la gestion collective obligatoire. C'est le cas de la
directive du 27 septembre 1993 en ce qui concerne la retransmission par câble, comme
on a déjà pu le constater, mais aussi de la directive du 19 novembre 1992 qui permet
d'imposer une gestion collective du droit de location, tout comme la directive du 27
septembre 2001 le fait pour le droit de suite.
Mais justement, pour Monsieur Ficsor, s'il a été nécessaire de prévoir, dans ces
derniers textes, la possibilité de recourir à la gestion collective obligatoire, « cela
montre par là même implicitement que dans le cadre de l'acquis communautaire ­ à
moins que cette possibilité ne découle directement des dispositions d'un traité
international auquel les Etats membres de l'UE sont parties - il faut que cette
possibilité existe ; autrement dit, la gestion collective obligatoire n'est pas licite dans
les cas où les règles internationales relatives au droit d'auteur (comme les
dispositions de la Convention de Berne examinées plus haut) ou l'acquis
communautaire s'il s'agit d'un droit spécifique non visé par ces règles (comme le
droit de location), ne l'autorisent pas expressément »190.

125. La conclusion est donc très claire « lorsque les règles internationales relatives
au droit d'auteur et/ou l'acquis communautaire prévoient la possibilité de l'exercice
individuel d'un droit exclusif et que les règles pertinentes n'établissent pas de
conditions pour l'exercice de ce droit (pas plus qu'elles ne permettent de le limiter à
un simple droit à rémunération), il serait contraire à ces règles de subordonner ce droit
à la condition qu'il ne puisse s'exercer que dans le cadre d'une gestion collective »191.

189 M. Ficsor, La gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins à la croisée des chemins :
doit-elle rester volontaire, peut-elle être étendue ou rendue obligatoire ? ,op.cit.
190 Ibid.
191 Ibid.
67

Donc, s'agissant, dans le cas du peer-to-peer, d'imposer la gestion collective du droit
de représentation et, le cas échéant, du droit de reproduction, cette solution semble
exclue. En effet, aucun texte international ne l'autorise expressément et la directive
société de l'information du 22 mai 2001 consacre le droit de reproduction et le droit de
communication au public comme étant des droits exclusifs192.

126. Cette analyse repose sur l'idée que la gestion collective obligatoire limite les
droits exclusifs consacrés par les accords internationaux ou reconnus par les textes
communautaires. Or, la Convention de Berne comme l'accord ADPIC ou le traité
OMPI reconnaissent en quelque sorte des droits exclusifs « minimaux », auxquels on
ne peut imposer des limites ou exceptions que dans les conditions prévues par ces
mêmes accords internationaux. De même, au niveau communautaire, l'article 5 de la
directive du 22 mai 2001 dresse la liste des hypothèses dans lesquelles les Etats
membres peuvent prévoir des « exceptions et limitations » aux droits exclusifs des
auteurs et titulaires de droits voisins.

127. Donc, en fait, pour savoir si la gestion collective obligatoire est compatible ou
non avec ces divers textes, il faut avant tout déterminer si elle constitue une limite ou
exception aux droits exclusifs. Ce n'est qu'à cette condition que le raisonnement tenu
par Monsieur Ficsor et repris plus haut pourra effectivement constituer un obstacle à la
mise en oeuvre de cette solution dans le cas qui nous intéresse ici. Les enjeux ont été
très clairement posés par Madame von Lewinski193 : « la première question à analyser
est de savoir si elle (la gestion collective obligatoire) représente une exception ou une
limitation par rapport aux droits exclusifs en question. Si elle n'en constitue pas une et,
en conséquence, n'est pas réglée par ces traités internationaux, il ne se pose même pas
de problème de conformité. Si, en revanche, la gestion collective obligatoire constitue
bien une exception ou une limitation, il faudra déterminer si elle relève de l'une des
exceptions ou limitations permises ».


192 Art. 2 et 3.
193 La gestion collective obligatoire des droits exclusifs et sa compatibilité avec le droit international et
le droit communautaire du droit d'auteur ­ Etude de cas : Bull. dr. auteur mars 2004.
68

128. Or, on peut parfaitement considérer que la gestion collective obligatoire ne
vient pas limiter les droits exclusifs et permet « seulement » d'en organiser l'exercice.
On retrouve en fait, ici, la différence entre existence et exercice du droit. Lorsque l'on
aborde la question des limites ou exceptions aux droits exclusifs, on se préoccupe de
l'existence même de ces droits exclusifs, on en délimite le périmètre en décidant dans
quels cas leurs titulaires pourront les opposer aux tiers. On décide que « l'auteur ne
pourra plus interdire certaines utilisations »194. En revanche, lorsque l'on aborde la
question de la gestion de ces droits, leur existence même n'est pas en jeu, on se
préoccupe uniquement des modalités d'exercice des droits exclusifs dont l'existence
même n'est pas remise en cause. Dès lors, on peut parfaitement prétendre que la
gestion collective obligatoire ne peut s'analyser comme une limite aux droits exclusifs.
Elle serait alors compatible avec les exigences des divers accords internationaux qui
s'imposent à la France.

129. Pour résumer, on peut reprendre les propos de Madame von Lewinski : « la
gestion collective obligatoire ne porte pas atteinte au droit exclusif lui-même ; les
utilisations visées ne sont pas autorisées par la loi. En réalité, l'auteur ne se voit limité
que dans les conditions d'exercice du droit, seul le droit d'exercer son droit exclusif
par l'intermédiaire de la société de gestion lui est permis, mais le droit lui-même n'est
pas limité en tant que tel»195. D'ailleurs Monsieur Ficsor lui-même, alors qu'il estime
la gestion collective obligatoire incompatible avec les conventions internationales, a
clairement affirmé qu' « il faut voir dans l'obligation de gestion commune d'un droit
une condition d'exercice de ce droit »196.
À l'appui de cette argumentation, on pourra aussi souligner que l'article 9 de la
directive « câble et satellite », qui impose le recours à la gestion collective obligatoire,
s'intitule « exercice du droit de retransmission par câble »...

130. Mais même si on considère que la gestion collective obligatoire n'est pas une
limite ou une exception aux droits exclusifs, il faut encore déterminer si elle est

194 Ibid.
195 Ibid.
196 La gestion collective des droits d'auteurs et des droits connexes, OMPI, 2002, n° 372.
69

compatible avec les dispositions qui interdisent de subordonner l'existence du droit
d'auteur à l'accomplissement de certaines formalités. En effet, l'article 5-2 de la
Convention de Berne dispose clairement que « la jouissance et l'exercice de ces droits
ne sont subordonnés à aucune formalité ». La solution repose sur la distinction entre
existence et modalités d'exercice des droits. Dans la mesure où, comme on vient de le
voir, la gestion collective obligatoire concerne les modalités d'exercice du droit et non
son existence même, l'obligation ici faite aux auteurs ne paraît pas contrevenir aux
exigences de l'article 5-2. En ce sens, on a déjà souligné que ce texte vise les
formalités « dont dépend l'existence même des droits », ce qui n'est pas le cas
s'agissant de la gestion collective obligatoire197. De plus, on peut considérer que la
gestion collective obligatoire ne constitue pas une formalité en tant que telle dans la
mesure où « un auteur n'a aucune formalité à accomplir. Il n'a pas même besoin
d'adhérer à la société de gestion compétente, puisque cette dernière est tenue d'exercer
les droits des auteurs même s'ils n'en sont pas membres »198.

131. En fait, la discussion est liée ici au sens à donner à la notion de formalité.
« Selon les uns, toutes les formalités sont visées, qu'elles président à la naissance ou à
l'exercice du droit alors que pour d'autres, seules celles qui conditionnent la naissance
de la protection ainsi que l'exercice même du droit (sans les modalités de celui-ci)
tombent dans le champ d'application de la disposition »199. Mais quoi qu'il en soit, il
faut bien reconnaître qu' « il y aurait un paradoxe à récuser comme une limitation aux
droits des auteurs un mode de gestion qui est précisément destiné à donner un contenu
concret à des prérogatives qui, autrement, resteraient lettre morte »200.

132. Même s'il semble donc possible d'admettre que la gestion collective obligatoire
ne constitue pas une limite ou exception aux droits exclusifs, ce qui permettrait alors
d'y recourir sans contrevenir aux engagements internationaux de la France, il nous faut

197 A. et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, op.cit. , n° 694.
198 S. von Lewinski, La gestion collective obligatoire des droits exclusifs et sa compatibilité avec le
droit international et le droit communautaire du droit d'auteur ­ Etude de cas, op.cit.
199 C. Doutrelepont, Rapport général, Raison d'être des sociétés de gestion des droits, importance,
essor et développements récents : Congrès ALAI 1997, Montebello, p. 469 (spéc. p. 497).
200 A. Lucas, Observations finales : Congrès ALAI 1997, Montebello, p. 1153 (spéc. p. 1159).
70

quand même ajouter que si on choisissait, comme Monsieur Fiscor, de considérer qu'il
y a bien là une limite aux droits exclusifs, deux obstacles devraient alors êtres franchis
pour pouvoir mettre en place cette forme de gestion. Il faudrait d'abord établir que la
limite est prévue par les textes internationaux et il faudrait ensuite s'assurer qu'elle
peut franchir avec succès l'épreuve du « triple test ».
Comme on l'a vu, si on conçoit la gestion collective obligatoire comme une limite aux
droits exclusifs, on peut considérer qu'elle n'est possible que pour les droits à
rémunération201. Mais là encore, l'affirmation peut prêter à discussion. Madame von
Lewinski202 invoque en effet l'argument « e majore ad minus » pour en déduire que
« comme cet article 11bis (2) (de la Convention de Berne) permet même les licences
obligatoires, et partant, le remplacement du droit exclusif par un droit à rémunération,
cette restriction est assurément plus large que la gestion collective obligatoire du droit
exclusif - lequel reste intact ». Autrement dit, puisque l'on admet qu'un droit à
rémunération puisse se substituer au droit exclusif, pourquoi ne pas admettre la gestion
collective obligatoire du droit exclusif ?

133. Reste alors à franchir l'obstacle du triple test. On a déjà précisé dans le détail
quelles sont les trois étapes de ce test et on se contentera donc ici de les appliquer
directement à l'hypothèse qui nous intéresse. Si la gestion collective est imposée dans
un cas précis, bien défini et de portée étroite, on peut sans doute y voir un cas spécial.
Ensuite, on peut admettre que cette solution ne porte pas atteinte à l'exploitation
normale des droits dès lors qu'il est « pratiquement impossible à l'auteur/titulaire du
droit d'auteur de recourir à des dispositions d'octroi d'une licence privée »203. Enfin,
dans la mesure où le système envisagé assure une rémunération équitable des ayants
droit, cela ne doit pas causer de « préjudice injustifié » à leurs « intérêts légitimes » et
la troisième condition pourrait donc elle aussi être remplie.


201 V. les propos de M.Ficsor repris plus haut.
202 La gestion collective obligatoire des droits exclusifs et sa compatibilité avec le droit international et
le droit communautaire du droit d'auteur ­ Etude de cas ,op.cit.
203 Élément d'appréciation de la condition d'atteinte à l'exploitation normale retenu par S.Ricketson,
Etude de l'OMPI sur les limitations et les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins dans
l'environnement numérique, avr. 2003, p. 83.
71

134. Finalement, il apparaît que tous les arguments qui tendent à faire admettre une
incompatibilité de cette gestion collective obligatoire avec les diverses conventions
internationales applicables peuvent prêter à discussion. Cela ne doit pas conduire à
minimiser les difficultés que l'on pourrait rencontrer si un tel système était mis en
place en France dans l'hypothèse du peer-to-peer. Il faut simplement prendre
conscience qu'il y a là matière à argumenter et qu'en toute hypothèse, la solution que
représente la gestion collective obligatoire ne doit pas être écartée trop rapidement.


III. La mise en oeuvre de la gestion collective obligatoire


135. Si on admet que le recours à la gestion collective obligatoire peut se justifier et
si on considère qu'il est compatible avec les engagements internationaux de la France,
il faut encore déterminer dans quelles conditions cette gestion pourrait être mise en
oeuvre.

136. Avant toute chose, il est évidemment nécessaire de définir le champ
d'application de cette gestion collective, autrement dit, il faut préciser quels seraient
les droits concernés. L'efficacité du système implique que soient visés aussi bien le
droit d'auteur que les droits voisins et sans qu'il y ait lieu de faire de distinction selon
le type d'oeuvre. Ensuite, il faut ajouter que ce mécanisme concerne le droit de
reproduction et éventuellement le droit de représentation ou de communication au
public pour reprendre la terminologie propre aux droits voisins. Mais surtout, il faut
encore préciser que la gestion collective obligatoire n'interviendrait que lorsque la
reproduction, et éventuellement la représentation, seraient effectuées par des
particuliers, via les réseaux numériques et à des fins non commerciales. À ce titre, on
pourrait utilement s'inspirer de la rédaction de l'article L 122-10 CPI, relatif à la
reprographie. On préciserait alors que le ou les droits en cause seraient cédés à une
société de perception et de répartition agréée par le ministère de la culture. Seule cette
société pourrait contracter avec les utilisateurs.
72

Ce mécanisme a l'avantage d'écarter deux difficultés. Tout d'abord, dans la mesure où
on prévoit que les droits ne peuvent être gérés que par une SPRD, cela signifie que
toute cession de ces droits opérée par le titulaire initial au bénéfice d'un tiers, tel que le
producteur par exemple, serait inopérante. Ensuite, cela écarte toute difficulté liée à
l'identification du répertoire géré. Dès lors que la loi française est applicable, c'est-à-
dire lorsque l'acte de mise à disposition est réalisé en France, la société compétente est
habilitée à percevoir une rémunération au titre de cette exploitation.

137. Mais au-delà de cette question préalable, il faut envisager les modalités
concrètes de mise en oeuvre de la gestion collective obligatoire.
Il convient à cet égard de s'attarder sur un premier point. La « consommation peer-to-
peer» concerne les oeuvres musicales pour l'essentiel mais aussi les oeuvres
audiovisuelles. Or pour les films, on sait qu'un dispositif dit de « chronologie des
médias » a été institué en droit français à partir des années 1980, puis au niveau
européen, pour protéger les exploitants de salles de cinéma contre la concurrence de la
télévision et des supports enregistrés. Actuellement, les oeuvres cinématographiques
sont exploitées de la manière suivante : d'abord en salles, puis 6 mois plus tard par les
services de paiement à la séance et par vidéocassettes ou DVD204, un an après la sortie
en salle sur les chaînes cryptées par abonnement, et enfin au bout de deux ans pour les
chaînes en clair s'il s'agit d'une coproduction et trois ans pour les autres chaînes en
clair205.

138. On voit bien que pour les oeuvres audiovisuelles, les échanges de fichiers sur les
réseaux de peer-to-peer sont susceptibles de porter atteinte à cette chronologie des
médias qui représente pourtant un aspect essentiel de la stratégie commerciale des
ayants droit. Les échanges pratiqués par les internautes peuvent en effet avoir pour

204 Art. 2, D. n°2000-1137 24 novembre 2000
205 La loi, un temps dirigiste, s'en remet désormais aux intéressés : V. art. 7, Directive du 30 juin 1997,
télévision sans frontières et art. 70-1, L. 30 sept. 1986, réd. L. 1er août 2000). On relèvera par ailleurs
que ce système d'ordre de diffusion des films est inconnu du droit américain. Cela a par exemple
permis au réalisateur américain Steven Soderbergh de signer un contrat avec une société de production
afin de tourner une série de six films exploités simultanément dans les salles de cinéma, à la télévision
et en DVD (source : Agence Reuters).
73

objet des nouveautés206 et cela ne peut être pratiquement contrôlé. À cet égard,
autoriser la mise à disposition des oeuvres par le biais d'une gestion collective
obligatoire, pourrait remettre en cause l'ordre de diffusion des oeuvres
cinématographiques207.

139. Par ailleurs, on peut sans aucun doute tirer des enseignements des solutions
retenues au moment du vote des lois du 3 janvier 1995 et du 27 mars 1997.

Quelques points essentiels sont en effet apparus :

- La nécessité de soumettre les sociétés de gestion collective concernées à un
agrément. Cette option a été retenue dès le départ dans le projet de loi
relatif au droit de reproduction par reprographie. Deux justifications
essentielles ont été avancées : on y a vu une « contrepartie normale du
monopole » créé208, une « garantie » indispensable à la mise en oeuvre du
système209.
Le principe même de l'agrément apparaît désormais incontournable. On en
veut pour preuve la solution retenue par la loi du 27 mars 1997 : alors que la
directive n'imposait aucun agrément des sociétés chargées de gérer le droit
de retransmission par câble, le gouvernement a jugé utile de prévoir un tel
procédé dans le projet de loi initial et ce choix n'a pas été remis en cause par

206 Les films diffusés sur les réseaux P2P ne sont parfois même pas sortis officiellement en salles
(films enregistrés au camescope lors de projection en avant-première). C'est la raison pour laquelle les
Etats-Unis ont récemment renforcé leur loi sur le copyright en criminalisant la mise à disposition sur
les réseaux P2P de films, morceaux de musique ou logiciels avant même leur sortie officielle. Le
« Family Entertainment and Copyright Act », signé le 27 avril 2005 par Georges Bush prévoit des
peines de 3 ans de prison et de lourdes amendes (Durcissement de la législation américaine contre le
P2P, CNET News.com, jeudi 28 avril 2005 : www.zdnet.fr).
207 Sur ce débat, V. Estelle Dumont, Peer-to-Peer : la grande alliance entre industrie du cinéma et FAI
s'annonce difficile, ZDNet France, lundi 25 octobre 2004 : www.zdnet.fr. - Sophie Fievee-Balat, La
VOD doit se situer entre six et neuf mois dans la chronologie des médias, interview de Pascal Rogard,
directeur de la SACD, JDN, 2 nov. 2004 : www.journaldunet.com. - V. également La « chronologie
des médias », prochaine victime collatérale du haut débit ? : www.journaldunet.com.
208 En ce sens : C. Jolibois : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5827. - P. Douste-Blazy : JO Sénat CR 5
mars 1996, p. 1018 et 1022 ; JOAN CR 10 oct. 1996, p. 5304. ­ N. Ameline : JOAN CR 10 oct. 1996,
p. 5306.
209 J. Cluzel : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5830. V. aussi, J. Toubon : JOAN CR 15 déc. 1994, p.
9231.
74

le Parlement. Là encore, l'agrément a été présenté comme une
« contrepartie » de la mise en place de la gestion collective obligatoire210 et
s'est facilement imposé. La critique reposant sur l'idée que « les droits
d'auteur sont des droits privés et les sociétés d'auteurs sont des sociétés
privées qui émanent des auteurs et de leurs ayants droit et qui se sont
regroupées pour protéger leurs droits et intérêts »211 a finalement eu peu de
« succès ».

- La définition des critères de l'agrément. Le sujet a déjà donné lieu à
discussion devant le Parlement et plusieurs propositions furent formulées.
On a par exemple suggéré de tenir compte « de la répartition équitable des
sommes entre les ayants droit »212, on a exigé que la société « présente les
garanties indispensables en matière de représentativité et de compétence
professionnelle »213. De manière générale, le choix des critères n'a pas
soulevé de réelles contestations. On a simplement précisé que la prise en
compte des « moyens matériels » incluait les moyens « financiers »214.
Les discussions précédant le vote de la loi du 27 mars 1997 révèlent en tout
cas la nécessité de prévoir ces critères d'agrément dans la loi. Le projet de
loi initial ne l'avait pas fait et les sénateurs ont alors pris l'initiative de
combler cette lacune215.
Les critères retenus sont donc, finalement, selon l'article L 132-20-1 CPI :
1° « la qualification professionnelle des dirigeants des sociétés et les
moyens que celles-ci peuvent mettre en oeuvre pour assurer le recouvrement
des droits (...) et l'exploitation de leur répertoire ». À ce propos, une
précision a été apportée lors des débats parlementaires et l'expression « les
moyens que celles-ci peuvent mettre en oeuvre » doit être comprise comme

210 En ce sens : P.Laffitte : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1010 et 1022.
211 J. Delaneau : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1021.
212 C. Jolibois : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5828.
213 M. Schumann : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5829.
214 J. Toubon : JO Sénat CR 22 déc. 1994, p. 8070.
215 À ce propos, V. l'intervention du sénateur Pierre Laffitte : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1021.
75

renvoyant à un « ensemble de moyens de contrôle à la fois financiers et
humains »216.
2° « l'importance de leur répertoire »
3° « le respect des obligations que leur imposent les dispositions du titre II
du livre III ».
Les choix ont été un peu différents s'agissant de la reprographie car on a
retenu, à l'article L 122-12 CPI :
- « la diversité des associés »
- « la qualification professionnelle des dirigeants »
- « les moyens humains et matériels qu'ils proposent de mettre en oeuvre
pour assurer la gestion du droit (...) »
- « le caractère équitable des modalités prévues pour la répartition des
sommes perçue ».
Dans le cas qui nous intéresse, certains critères s'imposeraient donc
logiquement : la qualification des dirigeants, les moyens mis en oeuvre, la
représentativité de la société. Il serait sans doute également pertinent de
tenir compte du « caractère équitable des modalités de répartition ». En
effet, cette précision a été jugée utile au moment du vote de la loi relative à
la reprographie pour tenir compte des rapports de force entre auteurs et
éditeurs et on pourrait transposer le constat à l'hypothèse du peer-to-peer
s'agissant des rapports entre producteurs, auteurs et interprètes217.

- La volonté de s'assurer que l'exploitation du droit repose une base
contractuelle : «
ces sociétés gestionnaires devront conclure des
conventions avec les utilisateurs ; l'exploitation du droit de reproduction par
reprographie sera donc assurée, ce que nous voulions tous, sur une base
contractuelle »218. La même volonté se retrouve dans les débats précédant
l'adoption de la loi du 27 mars 1997 : « l'idée est alors de veiller au respect

216 N. Ameline : JOAN CR 10 oct. 1996, p. 5314.
217 Si, bien sûr, la clé de répartition n'était pas fixée par le législateur. Sur cette question V. supra.
218 C. Jolibois : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5827.
76

des droits exclusifs des auteurs sur une base contractuelle »219. Dans
l'hypothèse du peer-to-peer, la difficulté consiste ici à déterminer avec qui
la ou les sociétés de gestion compétentes contracteraient.
La SPRD compétente pourrait contracter avec les représentants des
consommateurs, éventuellement en associant les fournisseurs d'accès à cet
accord.
Reste à justifier l'intervention de ces intermédiaires. Tout d'abord, le
principe même de la gestion collective obligatoire suppose que les
« utilisateurs » des oeuvres et prestations protégées soient parties à l'accord
et en l'occurrence, il faudrait donc leur trouver des « représentants ». La
solution la plus logique consiste ici à se tourner vers les associations de
consommateurs, mais peut alors se poser la question de leur légitimité et de
leur représentativité. La difficulté ne doit pas ici être ignorée mais on peut,
peut-être, justifier l'intervention de ces associations en établissant un
parallèle avec la commission créée par l'article L 311-5 CPI afin de
déterminer « les types de support, les taux de rémunération et les modalités
de versement » de la rémunération pour copie privée. En effet, cette
commission se compose aujourd'hui, selon ce même texte, « pour moitié, de
personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du
droit à rémunération, pour un quart de personnes désignées par les
organisations représentant les fabricants ou importateurs de supports (...) et,
pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentants les
consommateurs ». Or, il faut souligner ici que le projet de loi initial, déposé
à l'Assemblée nationale le 4 juin 1984, ne prévoyait pas de faire participer
les représentants des consommateurs à cette commission. C'est le député
Alain Richard, rapporteur au nom de la commission des lois, qui a jugé utile
de déposer un amendement en ce sens, au motif que « ce sont en définitive
les acheteurs de cassettes vierges qui paieront la rémunération pour copie

219 J.-Y. Basselat : JOAN CR 20 mars 1997, p. 2123.
77

privée »220. L'amendement a été voté avec l'accord du gouvernement, la
commission spéciale du Sénat ayant simplement souhaité, par la suite, que
les organisations de consommateurs concernées soient « représentatives »221.
La même solution pourrait s'imposer pour le peer-to-peer, les internautes
ayant vocation à être les débiteurs finaux de la rémunération.

Enfin, reste à justifier la participation des fournisseurs d'accès. Là encore, le
rapprochement avec le régime mis en place en matière de copie privée peut
être fructueux. En effet, dans ce cas de figure, comme on l'a déjà
souligné222, les fabricants et les importateurs de supports vierges sont
membres de la commission de l'article L 311-5 CPI. Or, on sait que leur
participation à cette commission se justifie par le fait que ce sont eux qui
« fournissent les moyens matériels de copier les oeuvres »223. Dès lors, il
apparaît logique qu'ils déterminent les règles applicables à la rémunération
pour copie privée.
Dans le cas du peer-to-peer, on pourrait donc dire que dans la mesure où les
fournisseurs d'accès donnent aux internautes les moyens techniques de
mettre à disposition des oeuvres protégées, il est légitime de les faire
participer à l'accord qui doit autoriser ces actes d'exploitations des droits de
propriété littéraire et artistique.
On retrouve donc finalement la même justification que celle qui nous a
permis d'admettre le paiement de la rémunération pour copie privée par ces
mêmes fournisseurs d'accès. Ils seraient identifiés comme étant des
débiteurs intermédiaires, garants du paiement d'une rémunération qu'ils
pourraient ensuite imputer sur leurs abonnés. Après tout, en matière de
reprographie, le centre français d'exploitation du droit de copie (CFC)
conclut notamment des conventions avec les officines de photocopies alors

220 Rapport n° 2235, 26 juin 1984, p. 60. L'argument a été repris au cours des débats : R.Rouquette :
JOCR Ass. nat. 29 juin 1984, p. 3906.
221 Rapp. C. Jolibois, n°212, 24 janv. 1985, p. 17.
222 Cf. IA
223 C. Caron, Rémunération pour copie privée : J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1510, n° 29.
78

que ce ne sont pas les « utilisateurs directs » des copies réalisées224. En fait,
ces officines fournissent, contre rémunération, le moyen de réaliser les
copies, tout comme les fournisseurs d'accès permettent à leurs abonnés de
télécharger et mettre à disposition des oeuvres protégées.

- La question de la répartition équitable des sommes entre les ayants
droit. Si on a pu renoncer à prévoir cette répartition dans la loi sur la
reprographie, ce n'est pas sans quelques réticences225 et en souhaitant que
lors de l'élaboration « des statuts de la future société de gestion » soient
établies des « règles de répartition des droits qui reflètent une volonté
commune de défendre le droit d'auteur »226. La fixation légale des modalités
de répartition avait été écartée au motif qu'elle introduirait une trop grande
rigidité227. On se contente donc d'en faire un des critères d'agrément de la
société228, ce qui n'a pas empêché d'en déduire que « les clés de répartition
entre auteurs et éditeurs devraient être égalitaires »229. En pratique, le
« protocole relatif à la répartition des droits de reprographie entre la société
des gens de lettres et le syndicat national de l'édition »230 prévoit une
répartition « à parité entre l'auteur ou les auteurs d'une part, et l'éditeur ou
les éditeurs d'autre part » pour les ouvrages relevant du secteur de la
littérature, de l'actualité, les livres d'art, les livres de fiction pour la

224 « Le CFC et le syndicat national de la reprographie ont conclu une convention cadre en 1990,
renouvelée le 12 février 1996, qui prévoit la signature par chaque reprographe d'un contrat individuel
d'autorisation de reproduction par reprographie d'oeuvres protégées » (www.cfcopies.com). Ce contrat
concerne les reproductions des pages de livres ou d'articles de presse réalisées sur les photocopieurs
de ces établissements.
225 V. ainsi, l'amendement déposé devant l'Assemblée nationale et destiné à préciser que la
rémunération « bénéficie à part égale aux auteurs et aux éditeurs des oeuvres reproduites » : JOAN CR
15 déc. 1994, p. 9235.
226 M. Schumann : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5830. Dans le même sens : J. Toubon : JO Sénat CR
18 nov. 1994, p. 5833. V. aussi, plaidant en faveur d'une « répartition entre les éditeurs et les auteurs
des droits fixés par la loi » : G. Hage : JOAN CR 15 déc. 1994, p. 9229 ou encore, souhaitant « que les
statuts de ces sociétés agréées prévoient une rémunération équitable des sommes entre les ayants
droit » et que cette clause soit « la condition de leur agrément » : C. Jolibois : JO Sénat CR 18 nov.
1994, p. 5828.
227 En ce sens, les interventions de J. Bignon et J. Toubon : JOAN CR, 15 déc. 1994, p. 9235.
228 CPI, art. L 122-10 et R. 322-1-4° CPI.
229 P.-Y. Gautier, op.cit., n°195, p. 384.
230 J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1580.
79

jeunesse, les livres de religion, d'ésotérisme et d'occultisme, les bandes
dessinées231. Des « clés spécifiques de répartition » sont en revanche
prévues dans d'autres domaines comme pour les livres scientifiques, de
sciences humaines et sociales ou encore les encyclopédies et dictionnaires
par exemple232.
Sur ce point, on rappellera tout de même que concernant la rémunération
pour copie privée233 et la rémunération équitable de l'article L 214-1 CPI, le
législateur n'a pas hésité à imposer les clés de répartition entre les différents
ayants droit. Concernant la copie privée, le projet de loi initial ne prévoyait
aucune clé de répartition entre les bénéficiaires. Ce silence a été vu comme
une « lacune »234 et lors des débats parlementaires, on a jugé « indispensable
de fixer dans la loi la clé de la répartition de la copie privée entre les
différentes catégories de bénéficiaires »235. On a justifié ce choix par
« l'importance de cette nouvelle « manne » » et par la volonté d' « assurer
aux détenteurs de droits une rémunération équitable »236. L'amendement a
donc été adopté facilement et sans réelle discussion.
La situation a été un peu plus complexe pour la rémunération équitable de
l'article L 214-1 CPI. Cette fois ci, la clé de répartition figurait dans le
projet de loi initial et avait été adoptée sans difficulté par l'Assemblé
nationale237. Le Sénat, lui, a opté pour approche différente, sur proposition
du rapporteur Jolibois238. Estimant que « chaque fois que cela est possible,
priorité doit être donnée aux accords contractuels sur les obligations
légales », on a alors prévu que « lorsque, à défaut d'accord, le barème et les
modalités de la rémunération sont fixés à dire d'expert, la répartition de la
rémunération se fait à part égale entre les artistes-interprètes et les
producteurs de phonogrammes. En revanche, en cas d'accord, les parties

231 Point 1 du protocole.
232 Point 2 du protocole.
233 CPI, art. L 311-7 CPI.
234 Rapport A. Richard, op.cit. (p. 61).
235 R. Rouquette : JOAN CR 29 juin 1984, p. 3906.
236 Rapp. C. Jolibois, Sénat, n°212, 24 janv. 1985, p. 22.
237 JOAN CR 29 juin 1984, p. 3903.
238 Pour le vote, voir JO Sénat CR 4 avr. 1985, p. 141.
80

doivent demeurer libres de fixer comme elles l'entendent la clé de
répartition de la rémunération »239. L'Assemblée Nationale a refusé de voter
le texte du Sénat, estimant que le principe de répartition égalitaire « doit être
supérieur à la liberté de négociation des parties »240. Face à la résistance du
Sénat, c'est finalement la commission mixte paritaire qui a pu imposer le
texte que nous connaissons aujourd'hui.
Dans le cas du peer-to-peer, si rien ne permet de considérer que la loi
devrait nécessairement imposer les clés de répartition, on peut tout de même
souligner que l'argument évoqué dans l'hypothèse de la copie privée et
faisant référence à la « manne » financière dégagée pourrait sans doute être
repris ici.
- La question de la pluralité des sociétés chargées d'assurer la gestion.
Pour certains, « il ne peut y avoir qu'une seule société de gestion » pour que
les ayants droit soient efficacement protégés241. Pour d'autres, s'« il est
certes plus facile en ce domaine de n'avoir qu'un seul et unique
interlocuteur » on peut néanmoins se demander s'il n'est « pas regrettable
de créer des situations de monopole là où la concurrence pourrait assainir les
rapports entre les différentes parties »242. S'agissant de la retransmission par
câble, le ministre de la culture défendait la situation de monopole en
constatant qu'il s'agissait d' « un reflet de la réalité » et en soulignant que
c'est précisément pour tenir compte de cette situation qu'une procédure
d'agrément de la société a été mise en place comme on l'a vu
précédemment243.
Chaque système présente des avantages. La création de plusieurs sociétés
peut permettre de mieux défendre les intérêts de chaque catégorie d'ayants
droit en évitant que les uns soient de facto, soumis à la domination des
autres. En revanche, la création d'une société unique lui garanti une position

239 Rapp. C. Jolibois, op.cit., p. 119.
240 A. Richard : JOAN CR 20 mai 1985, p. 836.
241 M. Schumann : JO Sénat CR 18 nov. 1994, p. 5829.
242 P. Richet : JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1013.
243 V. JO Sénat CR 5 mars 1996, p. 1018.
81

de force face aux utilisateurs et simplifie la tâche de ces derniers qui n'ont
ainsi qu'un seul interlocuteur244.

- La question de savoir s'il faut créer une ou des sociétés de gestion ad
hoc ou si on peut faire appel aux SPRD existantes. Jusqu'à présent, on a
plutôt eu recours à la création de nouvelles sociétés : le CFC pour la
reprographie, la SPRE (société pour la perception de la rémunération
équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce)
pour la gestion de la rémunération équitable de l'article L 214-1 CPI, la
SORECOP et Copie France pour la copie privée, la première société
représentant les auteurs, interprètes et producteurs de phonogrammes et la
seconde étant compétente en matière de vidéogramme. En pratique, ces
sociétés perçoivent les rémunérations puis les répartissent entre les SPRD
représentant les différentes catégories de bénéficiaires qui les redistribuent à
leur tour aux ayants droit.




















244 Sur ces arguments, V. M. Ficsor, La gestion collective du droit d'auteur et des droits connexes,
op.cit., n° 359.
82


Conclusion






L' étude a permis de démontrer la faisabilité d'un système de compensation pour
l'échange des oeuvres sur internet.


1) Le téléchargement peut, dans certains cas, être considéré comme un acte de
copie privé.


L'article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « l'auteur ne peut
interdire : (...) les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective (...) ».

Le copiste devant incontestablement être considéré comme celui qui prend l'initiative
de copier une oeuvre, l'internaute qui procède au téléchargement peut prétendre
bénéficier de cette exception de copie privée. L'argument tenant à l'illicéité de la
source peut difficilement être soutenu. Outre l'impossibilité dans laquelle se trouve
l'internaute de déterminer si la source de sa copie est licite ou non, il faut en effet
admettre qu'exiger une origine licite revient à ajouter une condition à la loi. D'autre
part, l'argument reposant sur la notion d'usage « strictement » privé de la copie, ne
permet pas d'écarter systématiquement l'exception dès lors que l'internaute peut se
voir offrir la possibilité de faire passer le fichier téléchargé de la partie « ouverte » à la
partie « fermée » de son disque dur. On pourrait sans doute objecter que certains
téléchargements ne constituent pas des actes de copie privée. Certes, mais ce constat
est-il de nature à remettre en cause le système envisagé ? En effet, en quoi est-ce bien
différent de la situation actuelle ? La rémunération pour copie privée n'est-elle pas,
83

d'ores et déjà, perçue dans des hypothèses où il n'y a pas réellement copie privée au
sens strict retenu par le législateur français ?

L'exception pouvant être appliquée, reste à adapter le système de rémunération
existant. Les fournisseurs d'accès pourraient être les débiteurs intermédiaires, tout
comme actuellement, les fabricants et importateurs de supports vierges assument ce
rôle. Les fournisseurs répercuteraient alors cette charge sur les internautes, débiteurs
finaux.
Enfin, cette solution apparaît compatible avec les engagements internationaux de la
France dans la mesure où elle satisfait aux conditions posées par le triple test. La
copie privée réalisée par l'internaute constitue bien un « cas spécial » qui ne porte
« pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé » et qui ne
cause pas de « préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».


2) La mise à disposition peut donner lieu à une gestion collective obligatoire du
droit de représentation


Le contexte dans lequel se développe le peer-to-peer est tout à fait comparable à celui
qui a conduit à imposer le recours à la gestion collective dans l'hypothèse de la
reprographie. Ce système permettrait aux internautes de fréquenter les réseaux peer-to-
peer en toute légalité, sans que les ayants droit aient à en souffrir. Le droit de la
propriété littéraire et artistique retrouverait ainsi une certaine légitimité dans la mesure
où il ne serait plus perçu comme un obstacle à l'échange des oeuvres. Enfin,
l'efficacité du système ne fait aucun doute et il pourrait donc utilement être transposé
au peer-to-peer.

D'autre part, là encore, les engagements internationaux de la France ne sauraient
constituer un obstacle, dans la mesure où la solution proposée n'impose, selon nous,
aucune limite ou exception aux droits exclusifs.
84


Sommaire analytique



Introduction .................................................................................................................. 3

1. Les actions contre les fournisseurs de logiciels.......................................................... 6
2. Les actions contre les fournisseurs d'accès à internet ................................................ 8
3. Les actions contre les internautes ............................................................................. 11
4. Les systèmes alternatifs ............................................................................................ 13


Chapitre 1. - L'extension du mécanisme de la copie privée au téléchargement ... 16


I. - L'identification du copiste ...................................................................................... 20

II. - La licéité de la source ............................................................................................ 22

III. ­ L'usage privé de la copie ..................................................................................... 26
A. La notion de copie privée et l' « usage privé ».................................................. 27
B. Le principe d'interprétation stricte des exceptions ............................................ 31
C. Une redéfinition de la copie privée ? ................................................................. 34

IV. ­ L'application du triple test................................................................................... 38
A. Certains cas spéciaux ......................................................................................... 41
B. L'absence d'atteinte à l'exploitation normale.................................................... 43
C. L'absence de préjudice injustifié ....................................................................... 45

V. ­ La rémunération .................................................................................................... 46


Chapitre 2. ­ La gestion collective obligatoire du droit de représentation pour la
mise à disposition
........................................................................................................ 53

I. ­ La justification du recours à la gestion collective obligatoire................................ 58

II. ­ La compatibilité d'une gestion collective obligatoire avec les engagements
internationaux de la France........................................................................................... 65

III. ­ La mise en oeuvre de la gestion collective obligatoire......................................... 72


Conclusion ................................................................................................................... 83
85

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